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ToggleLa journée des Dupes
Le 10 novembre 1630, en présence de Louis XIII, le cardinal de Richelieu se confronte à la reine mère Marie de Médicis qui est devenue son adversaire le plus déterminé.
Le cardinal l’emporte le lendemain, au terme d’une « Journée des Dupes », le roi de France Louis XIII réitère contre toute attente sa confiance à son ministre Richelieu, élimine ses adversaires politiques et contraint la reine-mère Marie de Médicis à l’exil. Il peut dès lors mettre toute son intelligence au service de la monarchie.
Tournant politique et diplomatique du règne de Louis XIII, la journée des Dupes – qui dura en réalité deux jours – apparaît comme le premier grand événement de l’Histoire de France à Versailles. Opposant la mère du Roi, Marie de Médicis, à son principal ministre, elle vit, contre toute attente, le triomphe de Richelieu.
La scène, la journée des Dupes, est relatée grâce au duc de Saint-Simon, qui en tenait le récit de son propre père, Claude de Rouvroy, premier gentilhomme de la chambre du roi, ami et conseiller intime de Louis XIII qui lui avait demandé de l’accompagner pour cette entrevue qu’il pressentait difficile.
Cet épisode a eu pour théâtre la chambre de Marie de Médicis dans son tout nouveau palais du Luxembourg à peine terminé, avec en coulisses, côté cour l’hôtel dit du maréchal d’Ancre, 10 rue de Tournon, qui existe toujours bien que profondément transformé, ainsi nommé parce qu’il avait appartenu à l’ancien favori de la reine-mère, Concino Concini, assassiné en 1617 sur ordre du roi, et côté jardin le Petit-Luxembourg, à droite du palais, qui est aujourd’hui affecté à la résidence du président du Sénat. Le premier servait de résidence parisienne à Louis XIII quand sa mère résidait au Luxembourg, pour pouvoir lui rendre visite plus commodément, et le second au cardinal de Richelieu, en attendant la fin de la construction de son somptueux Palais Cardinal, sur la rive droite, devenu depuis le Palais-Royal.
La journée des Dupes commence le 10 novembre 1630 chez Marie de Médicis, dans son palais du Luxembourg à Paris, pour s’achever le lendemain auprès de Louis XIII qui s’est retiré dans son château de Versailles. Deux mois auparavant, la reine mère, profitant de la grave maladie qui faillit emporter son fils, a réclamé la tête de son rival, le cardinal de Richelieu. En effet, Marie de Médicis supporte de moins en moins l’ascendance du ministre sur le Roi. Elle entend bien, avec le soutien des dévots, faire tomber celui qu’elle avait pourtant porté au pinacle.
Forte de l’appui du parti de l’opposition au cardinal, notamment dans sa politique étrangère − nous sommes en pleine guerre de Trente Ans −, Marie de Médicis ouvre les hostilités le matin du 10 novembre. Face aux injonctions de sa mère, Louis XIII – qui cherche à la réconcilier avec son ministre – cède sur le renvoi de Richelieu comme surintendant et aumônier de la Reine. Venu, le 11 novembre, au palais du Luxembourg se démettre de sa charge, le cardinal trouve porte close. Marie de Médicis achève de persuader le Roi de se défaire de lui comme principal ministre. Connaissant bien les lieux, Richelieu, grâce à une porte dérobée, parvient à rejoindre les deux protagonistes. Louis XIII se trouve décontenancé devant l’apparition soudaine. Quant à Marie de Médicis, s’emportant contre le ministre qu’elle déteste, elle met en demeure le Roi, blême et muet de stupeur, de choisir entre elle et « un valet ». Forte de l’impression causée sur son fils, elle croit avoir triomphé de Richelieu, lequel pense alors devoir démissionner. Mais Louis XIII ne peut se passer de lui. Entre la piété filiale et la raison d’État (il sait combien il doit au cardinal jusqu’à présent), il n’est pas long à choisir.
La crise couvait depuis longtemps. Au départ homme de confiance de Marie de Médicis et, pour cette raison, traité avec méfiance par le jeune Louis XIII, Richelieu sut petit à petit gagner la confiance du roi, ce qui lui fit perdre au fur et à mesure celle de sa bienfaitrice qui en vint à le haïr. Louis XIII se trouvait écartelé entre sa mère, qu’il respectait en tant que telle, et son ministre, dont il appréciait mieux que personne les qualités et surtout la loyauté. Le caractère intransigeant et quelque peu orgueilleux du cardinal lui avait valu bien des ennemis qui intriguaient contre lui et se savaient forts du soutien de la reine-mère. À l’automne 1630, elle crut réunies les conditions d’arracher à son fils le renvoi du ministre et de lui imposer ses hommes à elle, dont les frères Marillac. Le 10 novembre au matin elle obtint de Louis XIII qu’il vienne au palais et lui enjoignit de renvoyer Richelieu. Une de ses dames d’honneur était la nièce du cardinal, qu’elle alla aussitôt avertir au Petit-Luxembourg voisin de ce qui se tramait dans le palais. Richelieu résolut de se présenter aussitôt devant la mère et le fils réunis. Connaissant mieux que personne les lieux, il ne mit que quelques minutes pour aller de l’un à l’autre en passant par les jardins et en empruntant des couloirs discrets. Une femme de chambre dévouée à sa nièce lui ouvrit la porte de la chambre de la reine-mère : son irruption n’était pas attendue et fit l’effet d’une bombe. Marie de Médicis, folle de rage, perdit son sang-froid et fit au ministre une scène d’une rare violence, devant un Louis XIII sidéré et incapable de réagir autrement qu’en fuyant brusquement, tandis que Richelieu partait de son côté. Le silence de son fils persuada Marie de Médicis qu’elle avait partie gagnée, et elle commença à manifester bruyamment son triomphe, attirant autour d’elle la foule des courtisans toujours avides de plaire au vainqueur. Elle se trompait lourdement.
De retour à l’hôtel du maréchal d’Ancre, le roi demanda à son favori de lui dire en toute franchise ce qu’il pensait de tout cela. Rouvroy, avec les précautions d’usage, s’efforça de convaincre le roi qu’il aurait tout intérêt à continuer à s’appuyer sur un ministre dont il n’avait jusqu’alors qu’à se louer des services et de la loyauté. Il plaida pour que Richelieu soit conforté dans sa position le plus rapidement possible et osa même évoquer la nécessité, pour que les choses soient claires aux yeux de tous, d’éloigner la reine-mère. Louis XIII écouta, puis partit chasser à Versailles, qui n’était encore que le petit pavillon de chasse où il aimait de reposer des astreintes du pouvoir.
Richelieu se croyait perdu. Les rares amis qui lui restaient lui conseillèrent de rejoindre aussitôt le roi à Versailles pour lui renouveler ses témoignages de dévouement et de fidélité. Ce furent de sages conseils, car le soir même, Louis XIII convoque le cardinal à Versailles, où il s’est retiré et qui avait eu le temps de méditer les propos de Rouvroy, tandis que Marie de Médicis se félicite de son succès. Après une longue conversation en tête-à-tête, il décide de lui renouveler sa confiance, et de sacrifier sa mère. Le cardinal se vit conforter dans sa position de premier ministre, des ordres furent envoyés pour arrêter ses principaux opposants. L’un des Marillac fut jugé, condamné à mort et décapité en place de Grève, l’autre mourut en prison deux ans plus tard. Les opposants à Richelieu ont ainsi perdu leur chef de file. La reine-mère fut priée de s’éloigner de Paris, avant de choisir de s’exiler tout à fait. Celle-ci se voit intimer l’ordre de quitter Paris pour Compiègne : Louis XIII ne la reverra plus. Marie de Médicis part définitivement en exil d’où elle continuera de comploter contre le ministre jusqu’à sa mort, dans le dénuement, en 1642.
Un tel retournement de situation ne passa pas inaperçu et c’est un homme d’esprit, Guillaume Bautru, comte de Serrant, poète et, à ses heures, agent diplomatique de Richelieu, voyant le carrosse royal revenir triomphalement à Paris avec Richelieu à son bord, eut ces paroles qui donnèrent un nom à cet événement : « C’est la journée des dupes ! ».
Richelieu triomphe de la reine mère (1630) et confond impitoyablement tous les comploteurs qui trouvent appui auprès du frère du roi, Gaston d’Orléans, et de la reine Anne d’Autriche.
Le 16 octobre 1629, dans sa lettre à Richelieu, le roi lui déclare :« Assurez-vous toujours de mon affection qui durera jusqu’au dernier soupir de ma vie ». Richelieu sera nommé « principal ministre d’État », le 21 novembre, duc et pair de France le 26. Et quand l’affection ne sera plus ce qu’elle est, la fidélité à cette parole donnée demeure, même si Richelieu craint toujours le brusque revirement pouvant tout réduire à néant : sa mission, sa politique, sa carrière, sa fortune
La Journée des Dupes.
Louis de Rouvroy, duc de Saint-Simon
XVIIIe siècle
La Journée des Dupes1.
Il y a bien des choses importantes, curieuses et très particulières arrivées pendant le séjour de la Cour à Lyon, sur lesquelles on pourrait s’étendre, et qui préparèrent peu à peu l’événement qui va être présenté, auquel il faut venir sans s’arrêter aux préliminaires. Il suffira de dire qu’il n’y fut rien oublié pour perdre le cardinal de Richelieu, et que le roi entretint la reine d’espérances, sans aucune positive, la remettant à Paris pour prendre résolution sur une démarche aussi importante.
Soit que la reine, c’est toujours de Marie de Médicis dont on parle, comprit qu’elle n’emporterait pas encore la disgrâce du cardinal, et qu’elle avait encore besoin de temps et de nouveaux artifices pour y réussir ; soit que, désespérant, elle se fut enfin résolue au raccommodement ; soit qu’elle ne l’eut feint que pour faire un si grand éclat qu’il effraya et entraîna le roi ; ou que, sans tant de finesse, son humeur étrange l’eut seule entraînée sans dessein précédent, elle déclara au roi, en arrivant à Paris, que, quelque mécontentement extrême qu’elle eût de l’ingratitude et de la conduite du cardinal de Richelieu et des siens à son égard, elle avait enfin gagné sur elle de lui en faire un sacrifice, et de les recevoir en ses bonnes grâces, puisqu’elle lui voyait tant de répugnance à le renvoyer, et tant de peine à voir sa mère s’exclure du conseil à cause de la présence de ce ministre, avec qui elle ne ferait plus de difficulté de s’y trouver désormais, par amitié et par attachement pour lui, roi.
Cette déclaration fut reçue du roi avec une grande joie, et comme la chose qu’il désirait le plus et qu’il espérait le moins, et qui le délivrait de l’odieuse nécessité de choisir entre sa mère et son ministre. La reine poussa la chose jusqu’à l’empressement, de sorte que le jour fut pris au plus prochain (car on arrivait encore de Lyon2, les uns après les autres), auquel jour le cardinal de Richelieu et sa nièce de Combalet3, dame d’atours de la reine, viendraient, à sa toilette, recevoir le pardon et le retour de ses bonnes grâces. La toilette alors, et longtemps depuis, était une heure où il n’y avait ni dames ni courtisans, mais des personnes en très petit nombre, favorisées de cette entrée, et ce fut par cette raison que ce temps fut choisi. La reine logeait à Luxembourg, qu’elle venait d’achever4, et le roi, qui allait et venait à Versailles5, s’était établi à l’hôtel des Ambassadeurs6 extraordinaires, rue de Tournon, pour être plus près d’elle.
Le jour venu de ce grand raccommodement, le roi alla à pied de chez lui chez la reine. Il la trouva seule à sa toilette, où il avait été résolu que les plus privilégiés n’entreraient pas ce jour-là : en sorte qu’il n’y eut que trois femmes de chambre de la reine, un garçon de chambre ou deux, et qui que ce soit d’hommes, que le roi et mon père, qu’il fit entrer et rester7. Le capitaine des gardes même fut exclu. Madame de Combalet, depuis duchesse d’Aiguillon, arriva comme le roi et la reine parlaient du raccommodement qui s’allait faire en des termes qui ne laissaient rien à désirer, lorsque l’aspect de madame de Combalet glaça tout à coup la reine. Cette dame se jeta à ses pieds avec tous les discours les plus respectueux, les plus humbles et les plus soumis. J’ai ouï dire à mon père, qui n’en perdit rien, qu’elle y mit tout son bien-dire et tout son esprit, et elle en avait beaucoup. À la froideur de la reine, l’aigreur succéda, puis incontinent la colère, l’emportement, les plus amers reproches, enfin un torrent d’injures, et peu à peu de ces injures qui ne sont connues qu’aux halles. Aux premiers mouvements, le roi voulut s’entremettre ; aux reproches, sommer la reine de ce qu’elle lui avait formellement promis, et sans qu’il l’en eût priée ; aux injures, la faire souvenir qu’il était présent, et qu’elle se manquait à elle-même. Rien ne peut arrêter ce torrent. De fois à autre, le roi regardait mon père et lui faisait quelque signe d’étonnement et de dépit ; et mon père, immobile, les yeux bas, osait à peine et rarement les tourner vers le roi comme à la dérobée. Il ne contait jamais cette énorme scène qu’il n’ajoutât qu’en sa vie il ne s’était trouvé si mal à son aise. À la fin, le roi, outré, s’avança, car il était demeuré debout, prit madame de Combalet, toujours aux pieds de la reine, la tira par l’épaule, et lui dit en colère que c’était assez en avoir entendu, et de se retirer. Sortant en pleurs, elle trouva le cardinal, son oncle, qui entrait dans les premières pièces de l’appartement. Il fut si effrayé de la voir en cet etat, et tellement de ce qu’elle lui raconta, qu’il balança quelque temps s’il s’en retournerait.
Pendant cet intervalle, le roi, avec respect, mais avec dépit, reprocha à la reine son manquement de parole donnée de son gré, sans en avoir été sollicitée, lui s’étant contenté qu’elle vît seulement le cardinal de Richelieu au conseil, non ailleurs, ni pas un des siens ; que c’était elle qui avait voulu les voir chez elle, sans qu’il l’en eût priée, pour leur rendre ses bonnes grâces ; au lieu de quoi elle venait de chanter les dernières « pouilles » (reproches accompagnés d’injures) à madame de Combalet, et de lui faire, à lui, cet affront.
Il ajouta que ce n’était pas la peine d’en faire autant au cardinal, à qui il allait mander de ne pas entrer. À cela, la reine s’écria que ce n’était pas la même chose ; que madame de Combalet lui était odieuse8 et n’était utile à l’État en rien, mais que le sacrifice qu’elle voulait faire, de voir et pardonner au cardinal de Richelieu, était uniquement fondé sur le bien des affaires, pour la conduite desquelles il croyait ne pouvoir s’en passer, et qu’il allait voir qu’elle le recevrait bien. Là dessus, le cardinal entra, assez interdit de la rencontre qu’il venait de faire. Il s’approcha de la reine, mit un genou à terre, commença un compliment fort soumis. La reine l’interrompit et le fit lever assez honnêtement. Mais, peu après, la marée commença à monter : les sécheresses, puis les aigreurs vinrent ; après les reproches et les injures très assenées, d’ingrat, de fourbe, de perfide et autres gentillesses, qu’il trompait le roi et trahissait l’État, pour sa propre grandeur et des siens ; sans que le roi, comblé de surprise et de colère, pût la faire rentrer en elle-même et arrêter une si étrange tempête ; tant qu’enfin elle le chassa et lui défendit de se présenter jamais devant elle. Mon père, que le roi regardait de fois à autre comme à la scène précédente, m’a dit souvent que le cardinal souffrait tout cela comme un condamné, et que lui-même croyait à tous instants rentrer sous le parquet. À la fin le cardinal s’en alla. Le roi demeura fort peu de temps après lui, à faire à la reine de vifs reproches, elle à se défendre fort mal ; puis il sortit, outré de dépit et de colère. Il s’en retourna chez lui, à pied, comme il était venu, et demanda en chemin à mon père ce qu’il lui semblait de ce qu’il venait de voir et d’entendre. Il haussa les épaules et ne répondit rien.
La Cour, et bien d’autres gens considérables de Paris s’étaient cependant assemblés à Luxembourg et à l’hôtel des Ambassadeurs pour faire leur cour, et par la curiosité de cette grande journée de raccommodement sue de bien des personnes, mais dont, jusqu’alors, le succès était ignoré de tous ceux qui n’avoient pas rencontré madame de Combalet, ou lu dans son visage. Le sombre de celui du roi aiguisa la curiosité de la foule qu’il trouva chez lui. Il ne parla à personne, et brossa droit à son cabinet, où il fit entrer mon père seul, et lui commanda de fermer la porte en dedans et de n’ouvrir à personne.
Il se jeta sur un lit de repos, au fond de ce cabinet, et, un instant après, tous les boutons de son pourpoint sautèrent à terre, tant il était gonflé par la colère9. Après quelque temps de silence, il se mit à parler de ce qui venait de se passer. Après les plaintes et les discours, pendant lesquels mon père se tint fort sobre, vint la politique, les embarras, les réflexions. Le roi comprit plus que jamais qu’il fallait exclure du conseil et de toute affaire la reine, sa mère, ou le cardinal de Richelieu ; et, tout irrité qu’il fût, se trouvait combattu entre la nature et l’utilité, entre les discours du monde et l’expérience qu’il avait de la capacité de son ministre. Dans cette perplexité, il voulut si absolument que mon père lui en dit son avis, que toutes ses excuses furent inutiles. Outre la bonté et la confiance dont il lui plaisait de l’honorer, il savait très bien qu’il n’avait ni attachement, ni éloignement pour le cardinal, ni pour la reine, et qu’il ne tenait uniquement et immédiatement qu’à un si bon maître, sans aucune sorte d’intrigue ni de parti10.
Mon père fut donc forcé d’obéir. Il m’a dit que, prévoyant que le roi pourrait peut-être le faire parler sur cette grande affaire, il n’avait cessé d’y penser depuis la sortie de Luxembourg jusqu’au moment que le roi avait rompu le silence dans son cabinet.
Il dit donc au roi qu’il était extrêmement fâché de se trouver dans le « détroit forcé » (moment de transition, période difficile traversée par quelqu’un d’un tel choix ) que Sa Majesté savait qu’il n’avait d’attachement de dépendance que de lui seul ; qu’ainsi, vide de tout autre passion que de sa gloire, du bien des affaires, de son soulagement dans leur conduite, il lui dirait franchement, puisqu’il le lui commandait si absolument, le peu de réflexions qu’il avait faites depuis la sortie de la chambre de la reine, conformes à celles que lui avoient inspirées les précédents progrès d’une brouillerie qu’il avait craint de voir conduire à la nécessité du choix, où les choses en étaient venues.
Qu’il fallait considérer la reine comme prenant aisément des amitiés et des haines, peu maîtresse de ses humeurs, voulant, néanmoins, être maîtresse des affaires, et quand elle l’était en tout ou en partie, se laissant manier par des gens de peu, sans expérience ni capacité, n’ayant que leur intérêt ; dont elle revêtait les volontés et les caprices, et les fantaisies des grands qui courtisaient ces gens de peu, lesquels, pour s’en appuyer, favorisaient leurs intérêts et souvent leurs vues les plus dangereuses sans s’en apercevoir : que cela s’était vu sans cesse depuis la mort de Henry IV ; et sans cesse aussi, un goût en elle de changement de serviteurs et de confidents de tout genre ; n’ayant longuement conservé personne dans sa confiance, depuis le maréchal et la maréchale d’Ancre, et faisant souvent de dangereux choix ; que se livrer à elle pour la conduite de l’État serait se livrer à ses humeurs, à ses vicissitudes, à une succession de hasards de ceux qui la gouverneraient, aussi peu expérimentés ou aussi dangereux les uns que les autres, et tous insatiables : qu’après tout ce que le roi avait essuyé d’elle et dans leur séparation, et dans leur raccommodement, après tout ce qu’il venait de tenter et d’essayer dans l’affaire présente, il avait rempli le devoir d’un bon fils au delà de toute mesure, que sa conscience en devait être en repos, et sa réputation sans tache devant les gens impartiaux, quoi qu’il pût faire désormais ; enfin que sa conscience et sa réputation, à l’abri sur les devoirs de fils, exigeaient de lui avec le même empire qu’il se souvint de ses devoirs de roi, dont il ne compterait pas moins à Dieu et aux hommes ; qu’il devait penser qu’il avait les plus grandes affaires sur les bras, que le parti protestant fumait encore, que l’affaire de Mantoue11 n’était pas finie ; enfin que le roi de Suède, attiré en Allemagne par les habiles menées du cardinal, y était triomphant, et commençait le grand ouvrage si nécessaire à la France, de l’abaissement de la maison d’Autriche (il faut remarquer que le roi de Suède était entré en Allemagne au commencement de cette même année 1630, et qu’il y fut tué à la bataille de Lutzen, le 16 novembre 1632) ; que Sa Majesté avait besoin, pour une heureuse suite de ces grandes affaires, et pour en recueillir les fruits, de la même tête qui avait su les embarquer et les conduire ; du même qui, par l’éclat de ses grandes entreprises, s’était acquis la confiance des alliés de la France, qui ne la donneraient pas à aucun autre au même degré ; et que les ennemis de la France, ravis de se voir aux mains avec une femme et ceux qui la gouvernaient, au lieu d’avoir affaire au même génie qui leur attirait tant de travaux, de peines et de maux, triompheraient de joie d’une conduite si différente, tandis que nos alliés se trouveraient étourdis et peut-être fort ébranlés d’un changement si important ; que, quelque puissant que fût le génie de Sa Majesté pour soutenir et gouverner une machine si vaste dont les ressorts et les rapports nécessaires étaient si délicats, si multipliés, si peu véritablement connus, il s’y trouvait une infinité de détails auxquels il fallait journellement suffire dans le plus grand secret, avec la plus infatigable activité, que ne pourraient pas leur nature, leur diversité, leur continuité, devenir le travail d’un roi ; encore moins de gens nouveaux qui, en ignorant toute la bâtisse, seraient arrêtés à chaque pas, et peu désireux, peut-être, par haine et par envie, de soutenir ce que le cardinal avait si bien, si grandement, si profondément commencé. À quoi il fallait ajouter l’espérance des ennemis, qui remonteraient leur courage à la juste défiance des alliés, qui les détacherait et les pousserait à des traités particuliers, dans la pensée que les nouveaux ministres seraient bientôt réduits à faire place à d’autres encore plus nouveaux, et de la sorte à un changement perpétuel de conduite.
Ces raisons, que le roi s’était sans doute dites souvent à lui-même, lui firent impression. Le raisonnement se poussa, s’allongea, et dura plus de deux heures. Enfin, le roi prit son parti. Mon père le supplia d’y bien penser. Puis, l’y voyant très affermi, lui représenta que, puisqu’il avait résolu de continuer sa confiance au cardinal de Richelieu, et de se servir de lui, il ne devait pas négliger de l’en faire avertir, parce que, dans l’état et dans la situation où il devait être, après ce qui venait de se passer à Luxembourg, et n’ayant pas de nouvelles du roi, il ne serait pas étonnant qu’il prît quelque parti prompt de retraite12.
Le roi approuva cette réflexion, et ordonna à mon père de lui mander, comme de lui-même, de venir ce soir trouver Sa Majesté à Versailles, laquelle s’y en retournait. Je n’ai point su, et mon père ne m’a point dit, pourquoi le message de sa part, et non de celle du roi : peut-être pour moins d’éclat et plus de ménagement pour la reine.
Quoi qu’il en soit, mon père sortit du cabinet et trouva la chambre tellement remplie qu’on ne pouvait s’y tourner. Il demanda s’il n’y avait pas là un gentilhomme à lui. Le père du maréchal de Tourville, qui était à lui, et qu’il donna depuis à monsieur le prince, comme un gentilhomme de mérite et de confiance, lors du mariage de monsieur son fils avec la fille du maréchal de Brezé13, fendit la presse et vint à lui. Il le tira dans une fenestre et lui dit à l’oreille d’aller sur le champ chez le cardinal de Richelieu, lui dire de sa part qu’il sortait actuellement du cabinet du roi, pour lui mander qu’il vînt ce soir même trouver sur sa parole le roi à Versailles, et qu’il rentrait sur le champ dans le cabinet, d’où il n’était sorti que pour lui envoyer ce message. Il y rentra, en effet, et fut encore une heure seul avec le roi.
À la mention d’un gentilhomme de la part de mon père, les portes du cardinal tombèrent, quelques barricadées qu’elles fussent. Le cardinal, assis tête-à-tête avec le cardinal de La Vallette14, se leva avec émotion dès qu’on le lui annonça, et alla quelques pas au devant de lui. Il écouta le compliment, et, transporté de joie, il embrassa Tourville des deux côtés. Il fut le même jour à Versailles, où il arriva des Marillacs15 le soir même, comme chacun sait16.
Notes
1. – Dupes – Cette relation est du duc de Saint-Simon, à qui son père, l’un des principaux acteurs dans cette affaire, en avait raconté les détails. On ne la trouve jointe à aucune édition de ses Mémoires, pas même à la dernière, dont la publication n’est terminée que depuis quelques mois. Elle y eût cependant figuré avec avantage, je dirai même qu’elle y était indispensable comme pièce justificative du premier volume. Elle explique en effet, et complète, comme on le verra, ce passage du chapitre IV des Mémoires (édit. Hachette, in-18, t. I, p. 34) : « Je serais trop long, dit Saint-Simon, si je me mettais à raconter bien des choses que j’ai sues de mon père, qui me font bien regretter mon âge et le sien qui ne m’ont pas permis d’en apprendre davantage. » Il ne faut pas oublier ici que lorsque Saint-Simon vint au monde, son père avait soixante-huit ans, et que par conséquent le temps dut manquer aux confidences paternelles : « Je ne m’arrêterai point, ajoute-t-il, à la fameuse Journée des Dupes, où il eut le sort du cardinal de Richelieu entre les mains, parce que je l’ai trouvée dans…, toute telle que mon père me l’a racontée. Ce n’est pas qu’il tint en rien au cardinal de Richelieu, mais il crut voir un précipice dans l’humeur de la reine-mère et dans le nombre de gens qui par elle prétendaient tous à gouverner. Il crut aussi, par les succès qu’avait eus le premier ministre, qu’il était bien dangereux de changer de main dans la crise où l’État se trouvait alors au dehors, et ces vues seules le conduisirent. » Ce qu’on va lire confirme tout ce qu’il dit ici. Mais à quelle relation du même événement fait-il allusion dans cette phrase : « Je ne m’arrêterai point à la Journée des Dupes…, parce que je l’ai trouvée dans…, toute telle que mon père me l’a racontée ? » Tous les éditeurs se contentent de dire que le nom qui se trouvait après dans a été gratté sur le manuscrit. C’était une belle occasion de mettre leur sagacité à l’épreuve ; ils ne l’ont pas saisie. Aucun n’a pris la peine de chercher quel est celui des historiens de ce règne dont la relation de cette affaire avait si bien l’assentiment de Saint-Simon, qu’il crût a cause d’elle pouvoir se dispenser d’en écrire une nouvelle dans ses Mémoires. Ma curiosité n’a pas été aussi indolente. La connaissance que j’avais du récit dont Saint-Simon pouvoit bien ne pas vouloir grossir son chapitre IV, mais qu’il avait écrit cependant, m’excitoit d’ailleurs à chercher, puisque dans la coïncidence des deux relations je devais trouver une preuve de plus de l’authenticité de celle du duc. Mes recherches n’ont pas été vaines. C’est à Leclerc que revient l’honneur fort rare d’avoir fait un récit qui satisfaisait complètement Saint-Simon, et dans lequel il ne voyait ni rien à ajouter, ni rien à contredire. Ce qu’on lit dans son ouvrage La Vie d’Armand-Jean, cardinal-duc de Richelieu, 1724, in-12, t. II, p. 100–103, est en effet, sauf la forme bien entendu, et quelques détails, d’une identité parfaite avec ce qu’on va lire. Si cette preuve n’était pas suffisante, j’en trouverais une plus décisive encore dans ce passage de l’Histoire de Louis XIII par le P. Griffet (1758, in-4, II, 66). Après avoir dit que plusieurs historiens de ce temps, et il veut parler de Montglat et de Fontenay-Mareuil, avoient prétendu qu’à la Journée des Dupes ce fut le cardinal La Valette qui persuada à Richelieu de se rendre à Versailles, il ajoute : « D’autres disent que le roi lui fit dire de s’y rendre, et le témoignage de Monsieur le duc de Saint-Simon, propre fils du favori de Louis XIII, qui avait entendu souvent raconter à son père l’histoire de cette fameuse résolution, ne permet pas d’en douter. Ce seigneur vivait en 1754, et c’est d’après ce qu’il nous a dit lui-même que nous allons en poursuivre le récit. » Griffet ne s’en tint cependant pas à ce qu’il avait appris de Saint-Simon. Il y a quelques différences entre ce qui se trouve dans son Histoire et la narration du duc. Cela serait assez naturel si elle ne lui avait été faite que verbalement, mais nous savons par une note qu’il en connut la rédaction manuscrite. La confiance lui manqua sans doute ; il voulut s’appuyer d’autres témoignages, et je crois qu’il eut tort. Voici cette note, analyse complète du récit de Saint-Simon, et qui pourra nous servir de sommaire : « Ce seigneur (Saint-Simon), dit Griffet, avait composé une relation particulière de cet événement, dont nous avons vu une copie manuscrite, et prise exactement sur l’original : il y contredit, en divers points, les mémoires et les histoires du temps ; et, se fondant sur le témoignage de son père, il assure : 1º que la reine-mère ayant promis au roi de rendre ses bonnes grâces à la marquise de Combalet et au cardinal, le roi leur fit dire de se trouver, le 11 au matin, à la toilette de la reine ; que la marquise de Combalet s’y présenta la première, et que la reine, en la voyant, oublia la parole qu’elle avait donnée, et se mit à l’accabler d’injures et de reproches, en présence du roi, qui en fut indigné, et de Saint-Simon, son favori, qui fut seul admis à cette entrevue ; que le cardinal, étant venu ensuite, ne fut pas mieux traité que sa nièce, et que le roi, sans rien dire à son ministre, qui se crut perdu, retourna promptement à l’hôtel des Ambassadeurs, où, étant entré dans son cabinet, seul avec Saint-Simon, il se jeta sur un lit de repos, et qu’un instant après tous les boutons de son pourpoint sautèrent à terre, tant il étoit gonflé de colère : circonstance qui ne paraît guère vraisemblable ; qu’ensuite il consulta son favori, qui lui parla fortement en faveur du cardinal ; et que le roi, étant résolu d’aller ce jour-là à Versailles, chargea Saint-Simon d’envoyer dire au cardinal de s’y trouver. »
Tout cela se retrouve plus loin, y compris la phrase même dont s’étonne Griffet. M. Monmerqué avait lu ce que celui-ci vient de dire, et lorsqu’il publia les Mémoires de Fontenay-Mareuil, dans la 2e série de la collection Petitot, il eut grand regret de ne pouvoir confronter le récit qui s’y trouve des mêmes faits avec celui de Saint-Simon, d’autant plus que ce dernier contredit l’autre continuellement. M. A. Cochut, qui possédoit en orignal la relation de Saint-Simon, voyant, par le regret de M. Monmerqué, combien ce document faisoit défaut, en donna communication à la Revue des Deux-Mondes, où il fut inséré dans le numéro du 15 novembre 1834, p. 414–421. Ce recueil, étant plus littéraire qu’historique, ne put faire parvenir, à ceux qu’elle intéressait surtout, la précieuse pièce. Elle y était donc si bien cachée, et presque perdue, que M. Cheruel ne l’y découvrit pas. Nous avons eu plus de bonheur, et nos lecteurs nous sauront gré de leur en faire part.
2. – Lyon – Au retour de l’expédition de Savoie, dont le principal fait d’armes se trouvera raconté par Saint-Simon, dans Louis XIII au Pas de Suze – Mémoires de Saint-Simon (édit. Hachette, in-18, t. I, p. 39). Le roi, arrivé à Lyon le 7 septembre, y était resté deux mois, pour se reposer d’abord, puis retenu par la maladie qui le prit à la fin de septembre et mit sa vie en grand danger. C’est cette maladie du roi qui permit aux ennemis du cardinal toutes sortes de manœuvres en leur inspirant toutes sortes d’espérances, auxquelles ils ne voulurent pas renoncer, lorsque le retour du roi à la santé les aurait dû mettre à néant.
3. – Combalet – Nièce du cardinal de Richelieu.
4. – achever – Il y avait toutefois déjà dix ans, en 1630, que le Luxembourg était achevé. « Les fondements, dit Piganiol (Descript. de Paris, 1765, in-8, t. VII, p. 162), en furent jetés en 1615, et, quoiqu’on y travaillât sans discontinuation, il ne fut achevé qu’en 1620. » Quatre ans après, il en paraissait un très curieux et magnifique éloge dans la troisième des Satyres du sieur du Lorens (1624, in-8, p. 17.)
5. – Versailles – À cause de la chasse, dont c’était la saison, puisqu’on était alors au commencement de novembre. Il n’y avait que quatre ans tout au plus que Louis XIII avait achevé de construire, ou plutôt de remettre à neuf le petit château de Versailles, qu’il avait acquis, moyennant cinquante mille écus, de Jean Soisy. Le Beuf. (Hist. du diocèse de Paris, t. VII, p. 307.) On n’eût pas dit que c’était un château royal, tant il était d’apparence modeste : « Nul gentilhomme, disait Bassompierre en 1626, dans son discours aux notables, n’en voudroit tirer vanité. » Quatre pavillons, unis par trois corps de bâtiment ; un péristyle à colonnes, surmonté d’une galerie et joignant ensemble les deux pavillons de l’est, le tout en briques ; tout autour un large fossé, et derrière un parc, qui ne fut agrandi que lorsqu’en 1632 le roi eut acheté et fait démolir le vieux castel des Loménie et des Gondi : tel était alors le château de Versailles. Louis XIV le respecta : « Sa Majesté, dit Félibien, a eu cette piété pour la mémoire du feu roi son père de ne rien abattre de ce qu’il avait fait bâtir. » Mansard, qui résistait, dut se soumettre, et le vieux château de briques resta comme enchâssé dans le nouveau. On le voit encore avec sa rouge façade qui regarde de haut l’avenue de Paris. Au devant se trouve la cour de marbre, qu’on appela ainsi lorsque Louis XIV l’eut fait paver « d’un marbre blanc et noir, avec des bandes de marbre blanc et rouge ».
6. – hôtel des Ambassadeurs – C’était l’hôtel qui avait appartenu auparavant au maréchal d’Ancre, et dont il a été parlé déjà, t. IV, p. 30. On y logeait les ambassadeurs extraordinaires.
7. – rester -Saint-Simon était alors grand-écuyer et le favori en titre.
8. – odieuse – S’il fallait en croire l’histoire secrète des amours du cardinal de Richelieu avec Marie de Médicis et Mme de Combalet publiée en 1805 dans les Souvenirs du comte de Caylus, puis par Auguis dans les Révélations indiscrètes du dix-huitième siècle, cette haine de Marie de Médicis auroit eu la jalousie pour cause, Mme de Combalet, toujours d’après ce récit scandaleux, ayant enlevé à la reine-mère l’amour du cardinal, son oncle.
9. – colère – C’est cette circonstance que le P. Griffet trouve peu vraisemblable. Leclerc, dont encore une fois le récit est, sauf quelques particularités, tout a fait conforme à celui-ci, se contente de dire : « Ayant déboutonné son juste au corps, il (le roi) se jeta sur le lit, et dit à Saint-Simon qu’il se sentait comme tout enflammé. » Ce débraillé, quelle qu’en fût la cause, était nécessaire au roi. Le mal dont il avait failli mourir tout dernièrement à Lyon était, dit Leclerc, « une apostume dans le mesentère qui lui faisoit enfler le ventre », et il est assez naturel qu’il ne pût encore supporter longtemps un vêtement serré.
10.– parti – Saint-Simon, toutefois, avait déjà prouvé qu’il était dévoué au cardinal. Quand on avait été sur le point de désespérer des jours du roi, c’est à lui que Richelieu s’était confié pour se tirer du péril dans lequel cette mort pourrait le jeter. « Le cardinal, dit Leclerc, pria Saint-Simon, grand-écuyer, qui ne bougeait d’auprès de la personne du roi, de porter Sa Majesté à avoir quelque soin de son premier ministre. » (Vie d’Armand-Jean, cardinal-duc de Richelieu, 1724, in-12, t. II, p. 98.)
11. – affaire de Mantoue – C’est cette affaire où le duc de Savoie, soutenu par l’empereur et les Espagnols, voulait se donner le gros lot, le duché de Mantoue, qui avait motivé la dernière expédition de Louis XIII et sa conquête de toute la Savoie. Un traité était intervenu, par l’entremise de Mazarin, qui entre en scène pour la première fois comme négociateur au nom du duc de Savoie. La paix était faite, mais, ainsi que le dit fort bien le grand-écuyer, l’affaire n’était pas finie pour cela, puisque les ennemis n’avoient pas encore évacué le duché de Mantoue. Ils n’en partirent que le 27 novembre.
12. – retraite – Saint-Simon savait qu’en telle occurrence Richelieu n’ajournait guère le moment de se mettre en sûreté, et qu’il en cherchait au plus tôt les moyens. À Lyon, il y avait songé, et avait fait en sorte que le roi, tout mourant qu’il fût, y songeât pour lui. Le duc de Montmorency, à la prière de Louis XIII, avait promis de mener Son Éminence en toute sûreté à Brouage. Ce n’était pas encore assez pour Richelieu : il avait voulu s’assurer de Bassompierre et des Suisses. Bassompierre avait refusé, et il le paya bientôt chèrement. Peu de temps après la Journée des Dupes, il était à la Bastille.
13. – Brézé – V. Mémoires, édit. Hachette, in-18, t. I, p. 36.
14. La Valette – Suivant Leclerc, le gentilhomme envoyé par Saint-Simon trouva Richelieu emballant ses papiers et ses meubles, pour se retirer à Brouage, dont il était gouverneur. La Valette était avec lui, comme le dit Saint-Simon ; mais Leclerc, dont en cela la relation diffère un peu, ajoute que ce cardinal alla chez le roi, vit Saint-Simon, qui lui confirma toute l’affaire, puis Sa Majesté, qui lui dit : « Monsieur le cardinal a un bon maître ; allez lui dire que je me recommande à lui et que sans délai il vienne à Versailles. » C’est à cause de cette démarche de La Valette et des paroles du roi que le rôle principal a sans doute été donné à ce cardinal dans plusieurs relations.
15. Sur les Marillac, Michel, frère du maréchal, avait les sceaux. Mandé le soir même à Glatigny, près de Versailles, il crut à un redoublement de fortune ; mais le lendemain La Ville-aux-Clercs vint le trouver, se fit remettre les sceaux et l’emmena à Châteaudun.
16.- comme chacun sait – Richelieu, sauvé par Saint-Simon, fut-il reconnaissant ? Écoutons les Mémoires du fils (t. I, p. 34) : « Il n’est pas difficile de croire que le cardinal lui en sut un bon gré extrême, et d’autant plus qu’il n’y avait aucun lien entre eux. Ce qui est plus rare, c’est que, s’il conçut quelque peine secrète de s’être vu en ses mains, et de lui devoir l’affermissement de sa place et de sa puissance, et le triomphe sur ses ennemis, il eut la force de le cacher si bien qu’il n’en donna jamais la moindre marque, et mon père aussi ne lui en témoigna pas plus d’attachement. Il arriva seulement que ce premier ministre, soupçonneux au possible, et persuadé sur mon père, par une expérience si décisive et si gratuite, allait depuis à lui sur les ombrages qu’il prenait. Il est souvent arrivé à mon père d’être réveillé en sursaut, en pleine nuit, par un valet de chambre, qui tirait son rideau, une bougie à la main, ayant derrière lui le cardinal de Richelieu, qui s’asseyait sur le lit, et prenait la bougie, s’écriant quelquefois qu’il était perdu, et venant au conseil, et au secours de mon père sur des avis qu’on lui avait donnés, ou sur des prises qu’il avait eues avec le roi. »
Sources
- Archives curieuses de l’histoire de France…. 1re série. Tome 12e
- https://carnet-dhistoire.fr/anecdotes/la-journee-des-dupes-declin-ou-victoire-du-cardinal-de-richelieu/
- https://www.sh6e.com/activites/histoire-du-6eme/les-evenements-historiques/la-journee-des-dupes
- https://www.herodote.net/10_novembre_1630