PUBLICITÉ ET INFORMATION AU TEMPS PASSE

Publicité et information au temps passé

 

Les premiers pas de l’affiche comme support de communication apparaissent au XVe siècle.

Si la première mention d’affiches, au sens moderne du terme mais nommées à l’époque cédules, apparaît dans des lettres promulguées par Charles VI en 1407 visant à défendre et réprimer l’usage de placarder, au sein des églises, des convocations d’assemblées, il faut attendre le 13 novembre 1539 pour que, premier à le faire, le roi François Ier s’occupe de faire connaître ses ordonnances au moyen de l’affichage, désirant qu’elles soient  » attachées à un tableau, escriptes en parchemin et en grosse lettre « .

On trouve, dès l’Antiquité, des publicités sous forme de fresques vantant les mérites d’un homme politique ou des annonces de combats de gladiateurs. Une affiche découverte à Thèbes et datant de l’an 1000 avant J.C. est couramment considérée comme l’une des premières publicités produites en série; elle offrait une pièce d’or à qui capturerait un esclave en fuite.

Du temps de Plaute (IIIe siècle av. J.-C.), les façades des maisons de Rome étaient couvertes d’affiches gigantesques, et on ne craignait pas de placarder des annonces écrites en caractères longs d’une coudée, lors même qu’il ne s’agissait que de réclamations d’objets perdus ou d’avis donnés pour des objets trouvés. Voici la traduction d’une de celles qui ont été trouvées à Pompéi :  » Une urne de vin a disparu de la boutique, celui qui la rapportera recevra 65 sesterces ; s’il amène le voleur, on lui donnera le double. «

Ernest Breton a recueilli dans son ouvrage Pompeia décrite et dessinée (1855) plusieurs inscriptions que l’on peut regarder comme des affiches ; nous citerons seulement cette affiche électorale :  » Publium Furium duumvirum virum bonum oro vos faciatis  » (Je vous prie de nommer duumvir Publius Furius, honnête homme), et cette autre affiche :  » Suavis vinaria sitit, rogo vos valde sitit  » (Suavis, la marchande de vin, a soif ; je vous demande qu’elle ait excessivement soif)  » ; sans doute afin qu’elle boive tout son vin.

Programme électoral sur un mur de Pompéi

Quelques historiens ont prétendu, mais sans en donner aucune preuve, que cet usage de l’affiche avait passé dans la Gaule avec le gouvernement des Romains, et qu’il fut suivi par les rois des deux premières dynasties (mérovingienne et carolingienne). Au Moyen Age il semble avoir été remplacé par le cri à son de trompe ou par la voix du héraut d’armes, quand l’ordonnance était promulguée par un seigneur suzerain, et dans les villes par des crieurs jurés, auxquels cet office avait été concédé.

D’après les usages de la législation romaine, c’était aux magistrats municipaux qu’appartenait le droit de faire crier les ordonnances ou même les événements qui devaient être connus de tous. A la fin du XIIIe siècle, le roi de France et l’évêque de Paris vendirent à la juridiction du Parloir-aux-Bourgeois le criage de Paris. Le prévôt de cette ville avait donc, par ce fait, dans ses attributions, le droit de promulguer les ordonnances royales et celles des cours souveraines. On conserva, durant les premiers siècles du christianisme, l’emploi d’un moyen d’annonce qui rappelle l’album des Romains, et forme en quelque sorte la transition entre lui et l’affichage moderne. On plaçait dans les églises, au pied du grand cierge, des tables pascales, inscrites sur parchemin blanc et qu’on renouvelait tous les ans ; ces tableaux indiquaient la date des fêtes mobiles, l’année du pontificat du pape alors vivant, celle du règne du roi, etc.

La voix du crieur a donc ainsi pendant plusieurs siècles remplacé l’ancien album praetoris du magistrat romain, et il faut venir jusqu’à la première moitié du XVIe siècle pour retrouver, avec la promulgation à son de trompe, l’exposition, c’est-à-dire l’affichage de la loi dans les places et carrefours de la ville.

Un crieur public

Un des plus anciens titres concernant la publication des lois est un édit de Charlemagne de l’an 803. Il contient plusieurs ordonnances concernant la sûreté publique et l’administration de la justice. Il est adressé à Stephanus, qui occupait sous le titre de comte de Paris, l’importante fonction de premier magistrat de la ville capitale, pour le faire publier dans la ville de Paris et à son audience en la présence de tous les juges ou conseillers.

Le premier document dans lequel il est question des affiches est une lettre du roi Charles VI, du 18 février 1407, dont nous donnons ci-après le contenu, et l’on remarquera que le mot d’affiches n’y est pas encore prononcé ; elle y sont désignées sous le nom de cédules :

LETTRES qui défendent de faire des assemblées sans la permission du Roy ; et qui défendent notamment à l’Université de Paris d’indiquer et de convoquer des assemblées du peuple

 » Charles VI, à Paris, le 18 de février 1407.

 » Charles, par la grâce de Dieu, Roy de France, au Prevost de Paris, ou à son lieutenant, salut. Comme à quelque personne que ce soit, de quelconque autorité ou prééminence qu’elle use en nostre royaume, soit nostre aimé fils ne autre, excepté à nous seulement qui sommes souverain seigneur en nostre dit royaume, ne laise ne apparteigne faire convocacion ne assemblée de peuple en ycelui nostre royaume, sans noz licence, exprès commandement, et ceux qui feraient le contraire en cherroient envers nous un crime de lèse-magesté ; et pour obvier aux inconvénients qui de ce se pourroient ensuir, avons fait crier, prorlamer et fait deffendre publiquement. en nostre ville de Paris, et en plusieurs autres lieux de nostre dit royaume, sur moult grans peines, que aucun en presumast y faire aucune convocacions ne assemblées de peuple sans noz licence et commandemens dessusdiz, si comme nest assez notoire à tous ; neantmoins si comme de nouvel est vesnu à nostre congnoissance, aucuns suppos de nostre aînée fille l’Université de l’Estude de Paris, ou autres meuz de leur volonté, soubz umbre de certaines couleurs ont mis et attachié ou fait mettre et attachier en plusieurs églises de nostre dicte ville de Paris et ailleurs, certaines cedules pour induire, inciter et esmouvoir le peuple d’icelle et de ce assembler en certain lieu et à certain brief jour, en intencion et propos, comme nous avons entendu et sentons par usaiges semblables, presumpcions et conjectures, de dire et proposer entre autres choses audit peuple, plusieurs paroles grandement préjudiciables et dommaigables à nous, à nostredit royaume et à nos subgiez et bien publique d’icellui, qui est chose de très mauvais exemple, et s’en pourroit ensuir de très grans dommaiges et inconvéniens, se à ce n’estoit par nous pourvu de hatif remede.

 » Nous qui toute nostre entente et consideracion mettons comme raison est et faire le devons, à gouverner et maintenir nozdiz subgiez de nostre dit royaume en bonne paix et tranquilité, voulons et desirons prévenir et obvier aux choses dessusdictes, afin qu’aucune matière de discorde nesourde entre eulx, par grande et neuve deliberacion de nostre Conseil, nous mandons, commettons et enjoignons estroictement, que incontinent sans aucun delay, vous deffendez et faites crier publiquement en nostre dicte ville de Paris, en tous les lieux où l’on a accoutumez à faire criz, et par ces présentes deffendons à tous nos subgiez generalement de quelque estat et auctorité qu’ils soient, sur peine de corps et de biens, que aucuns d’eulx ne aille à ladicte convocacion ou assemblée ne assemblées.

 

» Et pour ce que nagaires ladicte Université a fait faire certaine predication en l’église de Saint-Martin-des-Champs, contre nostre dicte deffense… et grand lésion de nostre seigneurie, et pourrait plus estre se teles assemblées s’accoutumaient faire, vous rendons et commettons, se metier est, que de ces choses vous nous informez bien et diligement, et tous ceux que par vostre informacion en trouverez estre coupables, punissez les ainsy que au cas appartiendra.

 » Toutefois nostre entencion n’est pas que se aucuns de ladicte Université voilent preschier la parole de Dieu, ainsi que ilz ont accoutumé de faire ès églises de nostre ville de Paris, et non autrement ; et aultre vous mandons et commandons par ces mesmes presentes, que vous faciez et faicte deffense à tous les gens d’église d’icelle notre ville de Paris, que ils ne souffrent faire telles assemblées ou convocacions en leurs dictes églises , sur certaines grans peines, et de mêmes leurs deffendons par ces présentes ;

 » Et avecque ce, vous mandons et commandons que se pour le temps avenir aucuns de ladicte université voulaient faire ou s’efforçaient de vouloir faire telles assemblées ou convocacions, que incontinent vous faciez armer tous noz officiers et les sergens de nostre ville de Paris, et prendre ou faire faire prendre tous ceulx que vous en saviez entre coulpables, et les pugnir tellement que ce feust exemple à tous autres pour le temps avenir. «

Avec l’apparition de l’imprimerie au XVe siècle, la page imprimée devient accessible au grand public. On constate l’apparition du flyer (petite page imprimée, généralement distribuée à la main dans la rue), et des affiches tapissent dès lors les murs des villes.

En 1539, François Ier décrète que les ordonnances seront rédigées à la main en français et accrochées au mur, à la vue de tous après avoir été dites par un crieur.

Ce n’est qu’à partir du XVIe siècle que les ordonnances royales et avis publics furent affichés dans les rues. François Ier fut le premier roi qui s’occupa de faire connaître ses ordonnances au moyen de l’affichage. Voici l’extrait de cette ordonnance du roi François Ier sur la police de la ville de Paris, pour icelle tenir nette :

 » Nous voulons que ces présentes ordonnances soient publiées tous les moys de l’an, par tous les quarrefours de cette ville de Paris, et faulxbourgs d’icelle, à son de trompe et cry public. Et néantmoins qu’elles soient attachées à un tableau, escriptes en parchemin et en grosse lettre, en tous les seize quartiers de la dicte ville de Paris et esdictz faulxbourgs, et lieux les plus éminens et apparens d’iceulx, afin qu’elles soient congneues et entendues par un chacun. Et qu’il ne soit loysible oster lesdictz tableaulx, sur peine de punition corporelle, dont les dictz commissaires auront la charge, chacun en son quartier.

 » Et si, enjoignons à à nostre dict prevost de Paris ou son dict lieutenant criminel, de faire entretenir et garder entièrement le contenu en ces présentes, et ce qui en dépend. Et que diligemment il face toutes contrainctes à ce nécessaires sur les peines dessus dictes. Nonobstant oppositions ou appellations quelconques et sans preiudice d’icelles, dont nous avons retenu la cognoissance à vous et à nostre conseil privativement, à tous autres comme dessus.

 » Si donnons en mandement par ces dictes presentes, nostre prevost de Paris ou ses lieutenants, que noz presentes lettres ilz facent lire, publier et enregistrer, et les facent garder, observer, accomplir et entretenir inviolablement de poinct en poinct, selon leur forme et teneur, sans y contrevenir en aucune manière, car tel est nostre plaisir.

 » Donné à Paris, au mois de novembre, l’an de grâce mil cinq cens trente-neuf, et de nostre règne le vingt-cinqiesme. «

Le droit de faire publier et de faire afficher n’appartenait, en chaque ville, qu’au juge qui a la juridiction ordinaire et de territoire. Le prévôt de Paris avait seul ce droit. C’est par ce motif que la seule juridiction du Châtelet de Paris avait des registres qu’on appelait Bannières, c’est-à-dire, des registres des publications, et un greffier chargé de les garder et en délivrer des expéditions. Cette dénomination provenait de ce que l’on appelait Bannum ou Ban, soit la publication elle-même, soit l’étendue du territoire ou de la juridiction dans laquelle ce magistrat avait le droit de faire ces proclamations ou criées.

C’est dans ces registres que l’on trouve les procès-verbaux des publications de guerre et de paix, les édits et ordonnances royales, les arrêts du Parlement sur les matières générales, qui devaient servir de règlement ; les convocations des États, les publications pour les adjudications de fermes ou domaines du pays, et généralement tout ce qui était sujet à être publié ou affiché.

Toutes les fois que l’on a entrepris de troubler le prévôt de Paris dans cette possession, il y a été maintenu, ainsi qu’il résulte de quelques-unes des lettres patentes de Charles VI, du 6 avril 1407, adressées au prévôt de Paris, pour faire le procès à ceux qui avaient affiché des placards rapportés ci-dessus ; et de l’ordonnance du prévôt de Paris, du 9 décembre 1417, sur la requête des prévôts des marchands et échevins ; de l’ordonnance du prévôt de Paris, du 15 avril 1472, et de cette autre  » portant une sanction de luy dénoncer les gens qui avaient affiché des libelles contre le Roy, les princes et les principaux officiers de la couronne, à peine contre ceux qui seraient trouvez en avoir eu connaissance, d’estre traitez comme complices. «

Une autre forme d’information va se révéler : le prospectus publicitaire qui va connaître une remarquable progression malgré le discrédit à sa parution jusqu’à l’âge d’or de la publicité.

Si le prospectus publicitaire, dont le nom dérive de prospicere signifiant regarder en avant, existait dans la Rome antique et constituait pour les entrepreneurs des jeux du cirque une façon de répandre le programme des fêtes, il faut arriver, dans les temps modernes, au XVIIe siècle pour le voir réapparaître, seuls les charlatans du Pont-Neuf en usant alors, la publicité, considérée comme la ressource des marchands qui vendaient de mauvais produits, étant alors frappée d’interdiction par des ordonnances royales

Le prospectus était, autrefois, une espèce de programme qui se publiait avant l’apparition d’un ouvrage, et dans lequel l’éditeur donnait une idée de cet ouvrage et détaillait ses qualités et les conditions auxquelles on pouvait y souscrire. Mais le prospectus exista cependant avant l’invention de l’imprimerie.

A Rome, dans les derniers siècles de l’empire, les entrepreneurs des jeux du cirque faisaient distribuer à travers la ville des  » livrets  » qui n’étaient autre chose que nos modernes prospectus. Ces livrets contenant le programme des fêtes étaient reproduits par d’innombrables copistes et portés de maison à maison, parfois même remis aux passants dans la rue. Cicéron fut un des premiers qui usa du prospectus. Il fit copier ainsi à un nombre considérable d’exemplaires sa plaidoirie contre Catilina et la fit répandre jusque dans les moindres villages d’Italie.

Dans les temps modernes, il faut arriver au XVIIe siècle pour voir réapparaître le prospectus. Sous l’Ancien Régime, une sorte de discrédit frappait la publicité. Des ordonnances royales défendaient aux commerçants d’attirer les clients.  » A bon vin, point d’enseigne « , disait un proverbe. On s’imaginait que la publicité était la ressource des marchands qui vendaient de mauvais produits, et que les bonnes marchandises n’avaient pas besoin d’être annoncées. Les seuls charlatans du Pont-Neuf distribuaient des prospectus au XVIIe siècle.

L’auteur d’une lettre italienne publiée dans le Saint-Evremoniana nous donne une idée de la multitude des industries et des commerces qui fourmillaient alors sur le Pont-Neuf, et dont chacun avait son prospectus plus ou moins illustré :

 » On trouve sur le Pont-Neuf une infinité de gens qui donnent des billets [lisez des prospectus]. Les uns remettent les dents tombées ; les autres font des yeux de cristal. Il y en a qui guérissent des maux incurables : celui-ci prétend avoir découvert la vertu cachée de quelques simples, ou de quelque pierre en poudre pour blanchir et pour embellir le visage. Celui-là assure qu’il rajeunit les vieillards. Il s’en trouve qui chassent les rides du front et des yeux et qui font les jambes de bois pour réparer la violence des bombes. Enfin tout le monde a une application au travail si forte et si continuelle, que le diable ne peut tenter personne que les fêtes et les dimanches . «

Voulez-vous un spécimen de ces prospectus ? Voici celui qu’un charlatan qui courait les villes de province faisait distribuer par les rues. Ce prospectus recommandait  » les Cent Drogues admirables du merveilleux opérateur, des îles non découvertes, des royaumes invisibles, arrivé dans cette ville pour la foire.

 » Aux chalands : Après avoir couru à pied, à cheval, par mer et par terre, le dit opérateur merveilleux est arrivé en cette ville par batteau, pour la quantité de ses drogues admirables ; maintenant, il les a dépaquetées pour ceux qui en voudront, moyennant de l’argent, et verront leurs effets, s’ils ne sont aveugles ; beaucoup de gens s’en sont bien trouvez comme il appartient, car, comme dit l’autre, il ne voudroit pas mentir pour si peu de chose ; il invite les curieux à le visiter, et ne verront pas une beste, ou je me trompe ; s’ils ne le trouvent en son logis, ils le chercheront au manège des fous, c’est-à-dire à la foire… «

Suivait la nomenclature des cent drogues, dont je ne vous citerai que quelques-unes :

 » L’Eau de mauvaise grâce et de laideur pour guérir les charmes.

 » La Distillation de pieds de veau, pour sçavoir faire la révérence.

 » Le Sirop d’œillade, pour adoucir les âmes farouches.

 » L’Eau de pistoles, de perles et de diamants, pour acquérir la bonne grâce des dames.

 » La Racine de plume de coucou, pour guérir les jaloux.

 » La Graine de cul de poule, pour apprendre aux vieilles à faire la petite bouche.

 » La Quintessence d’escume de marmite et de mousse de broche passées en l’alambic d’escorniflerie, pour acquérir des serviteurs et des amis.

 » Le Sirop de vaines promesses, pour guérir de l’impatience… «

Et maintes autres fantaisies qui faisaient honneur à l’esprit de ce charlatan humoriste. A la foire Saint-Germain aussi bien qu’à la foire Saint-Laurent, les bateleurs répandent aussi les prospectus à poignées. Celui du Grand Scot Romain annonce que la  » troupe royale  » du dit  » donnera tous les jours les mêmes divertissements qu’elle a donnés à S. M. Très Chrétienne, à toute la Cour et à toutes les têtes couronnées de l’Europe et de l’Asie.

 » Le Grand Scot boira une quantité incroyable d’eau qu’il convertira en toute sorte de vin, en Iaict, en bierre, en encre, en eaües odoriférantes de plusieurs senteurs. Il fera sortir de sa bouche de la salade aussi fresche que celle que l’on vend aux Halles, deux plats pleins de véritables poissons en vie ; des roses, des œillets, des tulipes et plusieurs autres fleurs aussi belles et fresches qu’elles naissent dans les jardins du printemps ; et, de plus, des oiseaux en vie, trois ou quatre cents pièces d’or, des cravates et des manchettes de point et de dentelles, des rubans et mille autres curiosités que l’on ne peut expliquer et qui vont au-delà de l’imagination… «

Comment un prospectus annonçant de telles merveilles n’eût-il pas alléché des curieux ? Au siècle suivant, le prospectus, qui n’a servi jusqu’alors qu’à la publicité des banquistes, commence à acquérir la faveur des commerçants honorables et sérieux. Il se présente même le plus souvent sous une forme aimable et artistique. Le prospectus est une estampe que les collectionneurs d’aujourd’hui gardent en leurs cartons comme une chose précieuse.

Avis au public pour des sels purgatifs (XVIIIe siècle)

Les Cochin, les Saint-Aubin, Moreau le Jeune, Eisen, Choffard, Papillon, ne dédaignent pas d’illustrer les prospectus. Le fait que de simples marchands commandaient à ces illustres artistes leurs cartes commerciales, leurs circulaires, leurs en-têtes de factures, est un témoignage singulièrement probant du goût et du sentiment artistique de l’époque. Tous les commerçants, même ceux dont les métiers n’ont rien de commun avec l’art et l’élégance, sacrifient à ce goût.

Voici, par exemple, le prospectus de  » Delelo, marchand de fer, à l’enseigne des Forgerons Anglais, rue Phélipeaux, vis-à-vis celle des Vertus.  » C’est une belle gravure représentant l’intérieur d’une forge avec les forgerons battant le fer sur l’enclume, tandis qu’au fond, dans le rougeoiement du feu, l’apprenti manœuvre le soufflet. Et, au-dessous, Delelo informe sa clientèle qu’il tient  » magasin de serrures et ferrures pour le bâtiment, cuivre en planches, rozettes fil de fer, tout ce qui concerne la sellerie, toutes sortes de clouteries, limes, scies et outils d’Angleterre et d’Allemagne, roulettes de lits, poulies et cordons de rideaux, baldaquins, fontaines de grès, chenets, pelles, pincettes, poêles à frire, couperets, brûloirs et moulins à cafés, et toutes sortes de clinquailleries en gros et en détail… Le tout au plus juste prix… «

Parmi les prospectus des commerçants dont le métier relève de la mode, voici celui d’un grand tailleur du temps,  » le sieur Edeler, Allemand, tailleur d’habits « . Dans un cadre élégant, tout enguirlandé die roses, nous voyons représentés de superbes habits dont la forme et les broderies sont du dernier galant. Et le sieur Eleler nous apprend qu’  » ayant acquis, par une sérieuse application et plusieurs années de travail dans les principales Cours de l’Europe, une expérience ignorée dans son état jusqu’à ce jour, il croit devoir donner avis de son talent aux personnes de goût.

 » Il travaille dans la forme moderne avec tout l’art possible, fait les habits à bandes brochées en or ou argent ; les habits des quatre saisons à bandes brodées ou non. Il réforme les tailles des habits faits à l’ancienne mode et les arrange à la façon nouvelle, donnant du ventre à ceux qui n’en ont pas et l’ôtant également à ceux qui en ont trop, suivant la corpulence des personnes, le tout sans que l’étoffe ni la broderie en souffre en aucune manière quelconque.

 » Le sieur Edeler a aussi le secret de nettoyer les habits de velours des quatre couleurs à bandes brodées ou non, et de lustrine, de manière qu’ils recouvrent leur premier brillant.

 » Il entreprend toutes sortes d’habits uniformes, les livrées et généralement tout ce qui concerne son état. Il se flatte de la satisfaction qu’auront de ses services les personnes qui voudront bien l’honorer de leur confiance, ayant pour principe de ne rien livrer qui ne soit très bien conditionné, et avec autant de promptitude que de justesse dans les prix.

 » Sa demeure est rue Sainte-Avoye, au coin de celle Saint-Médéric, à Paris. «

Après d’annonce du tailleur, celle de la couturière. En 1795, une dame Lisfrand faisait distribuer dans la rue un prospectus illustré, informant le public que dans son magasin sis à Paris,  » près le café Foi « , on trouvait à des prix modérés,  » des robes romaines à la Cléo, d’une tournure rare, des chemises grecques d’un superbe effet, et des redingotes à la Thessalie dessinant la taille avec grâce « .

Les autres corps de métier usaient également de la publicité par le prospectus. Voltaire, dans une lettre à l’abbé d’Olivet, datée du 5 janvier 1767, raille la  » littérature-réclame « , à propos du prospectus d’un marchand de comestibles du temps :

 » Il m’est tombé entre les mains l’annonce imprimée d’un marchand de ce qu’on envoie de Paris en province pour servir sur table. II commence par un éloge magnifique de l’agriculture et du commerce : il pèse dans ses balances d’épicier le mérite du duc de Sully et du grand ministre Colbert… et il s’agit de vendre des saucisses et des harengs frais ! Cela prouve du moins que le goût des belles-lettres a pénétré dans tous les états… «

Les commerçants faisaient parfois, pour la rédaction de leurs réclames, appel au talent des plus illustres écrivains. Diderot raconte qu’un jour il fut prié de faire, sous le titre d’Avis au Public l’annonce pompeuse d’une pommade qui faisait pousser les cheveux, et qu’il en fut mieux payé que d’un article die l’Encyclopédie.

En Angleterre, la réclame commerciale par le prospectus était fort en faveur à la même époque. On distribuait à Londres beaucoup de prospectus en vers. Charles Lamb raille spirituellement cette habitude des commerçants londoniens :  » J’ai lu, dit-il, des vers sublimes composés par le poète lauréat de mon coiffeur. Cela me ravit l’âme. J’aime à penser qu’autrefois monarques et princesses avaient le monopole des poètes lauréats, et que maintenant c’est une fantaisie que mon épicier et mon tailleur se passent aisément. «

Un prospectus recommandant le fameux cirage de Day et Martin Holborne, racontait cette jolie histoire :

Vers 1815, Day n’était qu’un pauvre petit coiffeur de la Cité. Un soldat passe un jour, lui demande quelques schillings pour achever sa route ; il les lui donne, et l’autre, comme remerciement, lui laisse la recette du fameux cirage que, depuis, aucun autre n’a éclipsé, et qui permit à Day et à son associé Martin de se retirer avec une immense fortune, dans leur palais de Regent’s Park. Le plus curieux, c’est que ce prospectus disait vrai. Day, en effet, mourut en 1836, laissant à ses héritiers plus de douze millions.

Vers 1830, la publicité par le prospectus prend à Paris unie importance considérable. On distribue sur les boulevards une infinité de prospectus prônant toutes sortes d’articles et toutes sortes d’inventions : le sucre de betterave, la marmite autoclave  » permettant de faire son pot-au-feu en vingt-cinq minutes « , les paragrêles, les pendules à rouages, toutes les variétés de lampes, la bougie, les chandelles, la cafetière à la morize  » permettant de faire son café tout seul « , les lits élastiques, la voiture nomade pour voyages en famille (créée par Franconi), le salon de coiffure musical, les restaurants à vingt-deux sous, les magasins de nouveautés, les agences de renseignements, les marchands de lait  » meilleur et plus naturel  » (déjà !), les portraits en une seule séance,  » très ressemblants « … Toute l’ingéniosité de la moderne réclame commence à faire son apparition.

Elle n’a, fait, depuis lors, que se développer. Et elle n’est plus seulement pratiquée par les seuls commerçants ; les artistes quelquefois, ne dédaignent pas d’en user. Jugez en par l’anecdote que voici. Au début du XXe siècle, Jean Kubelick, le roi de l’archet, donnait un concert à Bruxelles. Chacun des auditeurs recevait avec le programme un prospectus qui contait l’histoire que voici.

Un jeune étudiant. d’Odessa, nominé Barsky, avait entendu dans cette ville l’incomparable violoniste. Son premier mouvement, dont il fit part à ses camarades, fut d’aller à la gare attendre M. Kubelick pour lui exprimer son admiration et le remercier du céleste bonheur qu’il avait éprouvé. Le second le porta au suicide :  » J’ai vu, disait-il dans une lettre qu’on retrouva plus tard, j’ai vu et compris les anges et les démons ; après une telle révélation, je n’ai plus qu’à sortir de la vie.  » Il en sortit, en effet, en se tirant un coup de revolver. Le petit papier ajoutait que M. Kubelick, blême de pitié, se rendit au cimetière, répandit des fleurs sur la tombe creusée par son archet et fut respectueusement salué par les camarades de sa victime.

Si blasé que l’on soit sur la réclame, comment résister à celle-ci ? M. Kubelick, qui ne comptait donner qu’un concert à Bruxelles, dut en donner un second. La salle était comble ; de vieilles dames sanglotaient et le lendemain un critique écrivait :  » N’est-ce point l’Art véritable, celui qui peut causer des drames si tragiques ?  » Ce critique avait doublement raison, car une telle publicité c’était encore du grand art.

Cet art n’apparaît pas moins dans le  » prospectus faire-part  » que voici, et qui fut distribué sur papier bordé de noir, dans une ville du Midi :

 » Monsieur et Madame,

 » Madame veuve T. a l’honneur de vous faire part du décès de son mari, Monsieur Etienne-René-Joseph T., enlevé à sa douce affection le 6 septembre dernier, à l’âge de quarante-neuf ans, en son domicile, à V., rue de la République.

 » Madame veuve T., malgré ce deuil cruel, informe sa nombreuse clientèle qu’elle continuera le commerce d’épicerie que son pauvre mari tint durant vingt-deux ans à la satisfaction de tous, et que ses prix seront aussi modérés que la qualité de ses marchandises sera supérieure.

 » Veuillez agréer, Monsieur et Madame etc. «

Colonne Morris

A la fin du XIXe siècle, les difficultés pratiques que posaient la publicité par voies d’affiches pour les spectacles amenèrent la constitution d’une commission, chargée de traiter définitivement la question. C’est de l’année 1868 que date l’apparition à Paris des colonnes qui portent le nom de leur inventeur Morris.

Trois entreprises d’affichage théâtral présentèrent chacune une solution.

Le nommé Maret-Leriche proposait  » une colonne pleine du même diamètre que les colonnes-urinoirs et d’une hauteur de 3 mètres seulement « , qui pourrait  » recevoir 24 affiches élevées à 50 cm du sol « . Mais il ne sut défendre son projet et sa proposition fut rejetée.

La maison Drouant préconisait des kiosques huit cotés égaux :  » construit en fer, ces édicules seraient plus gracieux et plus légers que les kiosques hexagonaux actuels et ne prendraient pas plus de place. Ils contiendraient 38 cases mesurant chacune 40 cm de hauteur et 50 cm de largeur. «

Ce projet paraissait idéal tant sur le plan pratique que du point de vue esthétique et allait emporter les suffrages de la commission lorsque l’imprimeur Morris lui adressa une lettre de protestation de la part du personnel de son entreprise, déclarant que,  » chargés depuis dix ans de l’impression des affiches de tous les théâtres de Paris, ils ont dû, pour ce faire, créer un matériel immense et tout fait spécial, l’extension duquel ils ont consacré la totalité de leurs bénéfices successifs « . Ce serait donc une catastrophe de les priver de cette fonction. En même temps, ils proposaient un modèle d’édicule ayant la forme d’une colonne avec affichage encollé.

Cette dernière formule séduisit Haussmann et un arrêté préfectoral daté du 1er avril 1868 accorda à la maison Morris le permis de construire à Paris , pour une durée de quinze ans, 150 colonnes exclusivement affectées l’usage des théâtres. Ce privilège fut renouvelé jusqu’en 1906 et M. Morris fils put se féliciter  » d’avoir su traverser toutes les crises sans manquer une seule fois l’affichage réglementaire « . C’est ensuite la Société Fermière des colonnes-affiches qui reçut la concession de cette forêt de 224 colonnes, disséminées parmi les platanes et les marronniers de la capitale.

Sources

    • D’après  » Le Petit Journal illustré « , paru en 1912

    • D’après  » La publicité en France : histoire et jurisprudence « , paru en 1879)

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