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ToggleAntoine Court, villeneuvois de naissance et restaurateur du protestantisme français au XVIIIème (1695-1760), homme d’un terroir, homme de son temps en son temps, homme d’aujourd’hui?
I – LA COMMUNAUTÉ RÉFORMÉE VILLENEUVOISE AU XVIlème ET LA FAMILLE COURT
« C’est en France même dans la chair des terroirs qu’il faudra étudier la révocation de l’Edit de Nantes en 1685 », écrit Jean Carbonnier Vice-Président de la Société d’histoire du protestantisme français. C’est dons la communauté réformée de Villeneuve qu’il faut retrouver les racines d’Antoine Court, même si celui qu’on considère comme une des figures marquantes du protestantisme au siècle des Lumières a inscrit son action dans une perspective nationale et parfois européenne.
Lorsqu’Antoine Court naît, dans la maison trapue, qu’une plaque signale au cœur de l’enceinte médiévale de Villeneuve de Berg, le protestantisme est interdit depuis dix ans dans le Royaume de France et les parents du jeune Court sont devenus, sous la contrainte des « missionnaires bottés », des « Nouveaux Convertis », des N.C., catholiques de jour mais fidèles à le religion réformée chez eux, et la nuit.
L’Église réformée a géré la bastide royale de 1561 à 1621, groupée autour de ses notables, au premier rang desquels Olivier de Serres et sa famille. Symbole de l’autorité monarchique, administrative et judiciaire, position stratégique sur une des voies naturelles entre la Cévenne gardoise et les Boutières – ou la Suisse, via le Dauphiné – la ville est prise dès 1621 par Montmorency qui en chasse le gouverneur protestant Chabreilles (ce dernier rejoint son frère le « brave » Brison à Privas). Le temple est détruit et l’interruption du culte réformé qui s’en suit va justifier, même après la Grâce d’Alès, les refus de considérer Villeneuve comme lieu de culte. Cependant la communauté réformée survit, elle se retrouve au Pradel où la famille De Serres, qui a acquis les droits de haute, moyenne et basse justice, peut, grâce à cela, y organiser un culte de fief. C’est d’ailleurs le maintien ou la disparition de ce droit au culte de fief qui explique, en partie, l’enlèvement de deux adolescents, descendants des seigneurs du Pradel et de Mirabel donc futurs héritiers de ce droit.
Malgré les édits successifs qui restreignent, à Villeneuve comme ailleurs, les droits des protestants, la communauté réformée continue à représenter au XVIlème environ le quart de la population (peut-être plus bien que le recensement de 1689, cité par Alain Monnier, dans l’annuaire CNRS de 1976, ne mentionne que 200 NC sur 1400 h.). On y compte des nobles (les De Serres, les D’Ozil qui seront apparentés au Comte d’Antraigues), des juristes (les Jeune, ancêtres de deux généraux de la Révolution), des commerçants, des artisans et parmi ces derniers, Jean Court et sa femme Marie Gébelin, fille d’un potier de terre de Saint-Pons.
Lorsque les compagnies occupent la bastide royale et ses environs, fin septembre 1685, quelques jours avant l’Édit de Fontainebleau qui officialise le révocation, ce sont 160 (selon le pasteur Boat) ou 200 (selon Grimaud, historien de Villeneuve) Réformés qui se « convertissent » en trois jours. Le ménage Court est encore sans enfant; les Court, protestants depuis cinq générations, jouissent d’une modeste situation; ils sont à la fois artisans – cardeurs, commerçants dans leur boutique d’étoffes et d’épices et propriétaires de quelques terres, d’un « matériel vinaire » et d’un troupeau de moutons.
Leur troisième enfant, Antoine, naît le 27 Mars 1695; il est baptisé à l’église catholique (alors que ses parents se sont mariés devant l’Église Réformée). Quatre ans plus tard, âgé de 47 ans Jean Court meurt; c’est Marie Gébelin, âgée de 34 ans qui élèvera trois orphelins. Profondément attachée à sa foi, elle va « défaire le soir ce que l’école catholique a fait le jour ».
II – LA DOUBLE DÉCOUVERTE PRÉCOCE DE LA FOI, AVEC LA MÈRE, ET DE LA CLANDESTINITÉ, AVEC LES INSPIRES
Nous verrons par la suite qu’Antoine Court sera un inlassable archiviste de la mémoire réformée. Demandant à ses compagnons de s’inscrire dans l’histoire par des témoignages écrits sur leur action, il se devait de prêcher d’exemple rédigeant des « Mémoires » (édités par Edmond Hugues en 1885). Sans ignorer la volonté parfois édifiante du rédacteur, il faut laisser ici, le plus possible, la parole à Antoine Court; le manuscrit, qui n’avait pas encore reçu sa forme définitive, utilise tantôt la première personne, tantôt la troisième (« Notre Court …. »). L’auteur s’attache essentiellement à expliquer l’évolution et l’action religieuses du Villeneuvois (sauf indication contraire, les citations qui suivent sont tirées de ces « Mémoires »).
Un régent sévère et un élève studieux « Sa mène qui ne manquait ni de bonté, ni de tendresse, ne négligea pas cependant les soins de l’éducation de son fils, quoique jeune n’ayant que trente ans lorsque son mari mourut, et chargée de trois enfants et peu accommodée désormais des biens de la fortune. Elle mit son fils à L’école, à la septième année, et eut la bonté de l’y conduire elle-même par la main et de recommander au régent de ne pas lui épargner le fouet, lorsqu’il manquerait à son devoir. Cette recommandation n’était pas du goût de l’enfant, il craignait le fouet plus que la mort, qu’on lui dépeignait cependant fort terrible. Aussi, n’oublia-t-il rien pour ne pas le mériter; et, soit sa grande application à remplir ce qu’on lui ordonnait, ou l’indulgence de son régent, il en fut quitte pour toujours, et il eut le bonheur de n’en tâter jamais. Ses progrès burent sensibles. Son inclination pour apprendre était grande; et ne pouvant supporter qu’un de ses camarades en sût plus que lui, il brûlait d’abord de la plus forte envie de le bientôt surpasser. Trois années suffirent pour atteindre à la science de son régent. Mais est-ce beaucoup dire? nous ne le prétendons pas: lire, écrire, un peu d’arithmétique, les premiers éléments de la grammaire étaient toute la science de son régent, et, par cela même, celle du disciple. Quel malheur pour celui-ci que la science de celui-là eut des bornes si étroites ».
Ce régent, outre sa sévérité, présente aux yeux de la mère, une autre qualité: il est « assez indulgent pour ne point prendre garde (au fait que) le disciple déteste la messe de tout son cœur et n’y assiste point du tout ». Par contre les condisciples de Court sont « des furieux qui à la sortie de l’école s’élancent sur lui pour le traîner de gré ou de force dans l’église » et le brocardent en l’appelant « Fils aîné de Calvin! ».
Ne voulant pas aller apprendre le latin chez l’autre régent Villeneuvois qui lui imposerait la fréquentation de la messe, ni au collège renommé d’Aubenas (il est sous la direction des Jésuites : « quel lieu pour éviter la messe ! ») il prend « le parti du commence » (sans doute celui des étoffes mais on l’a dit aussi maquignon), encouragé dans cette voie, « par ses cousins Gébelin « qui, de peu de choses, étaient parvenus à une assez brillante fortune. (Mais il n’était pas) aussi attentif aux affaires de son commence qu’il ne le fut encore plus à s’instruire dans la religion de ses pères ».
La découverte de la foi
C’est la mère seule qui instruit le fils de la religion. « Assez étendues pour affermir son fils, les lumières de sa mère ne l’étaient pas assez pour l’instruire à fond de tout ce que la religion a d’essentiel et de divin » . Quant aux livres protestants, « enlevés pan l’Inquisition, ils ont été la proie des flammes » . Un soir, il suit en cachette sa mère dont les absences l’ont intrigué; il découvre un groupe de Réformés qui se rendent à une Assemblée du Désert, à plusieurs lieues de Villeneuve (sans doute en vallée d’Ibie). »On craint qu’il ne soit trop jeune pour garder le secret; on doit même le porter sur les épaules, il entend cette nuit-là une prophétesse, la Veuve Ransel de Vallon, qui prêche sur des paroles d’Isaie: « Qu’avais-je plus à faire à ma vigne que je ne lui ai-je fait? Pourquoi ai-je attendu qu’elle produisit des raisins, et elle n’a produit que des grappes sauvages ». Dès lors, Court fréquente les Assemblées, « heureux si toutes les fois qu’il se mit en marche pour cela il avait réussi mais, assez souvent, il errait dans les bois, et pendant des nuits fort obscures avec ses bénins porteurs, sans pouvoir trouver le lieu de l’Assemblée pour avoir été mal indiqué ». Cet apprentissage de la clandestinité ne sera pas perdu.
A la maison, à peine entré dans l’adolescence, il reçoit en héritage par Marie du Pradel, descendante d’Olivier de Serres, deux livres de doctrine protestante : » LA VOIX DE DIEU » de l’Anglais Richard Baxter, dans la tradition calviniste et puritaine et les CONSOLATIONS DE L’ÂME FIDÈLE, POUR SE PRÉPARER A UNE BONNE MORT de DRELINCOURT, auteur d’ouvrages fort répandus dans le monde protestant au XVIIème. Plus tard, le domestique du curé « oublie » sur le comptoir aux épices deux volumes saisis et non détruits : »LE DIALOGUE RUSTIQUE OU LA DISPUTE D’UN BERGER AVEC SON CURE » de Jean de MONCHY, et « LE VOYAGE DE BETHEL OU SONT REPRÉSENTÉS LES DEVOIRS DE L’ÂME FIDÈLE EN ALLANT AU TEMPLE OU EN REVENANT, AVEC DES PRIÈRES ET DES MÉDITATIONS POUR OUÏR UTILEMENT LA PAROLE DE DIEU ET PARTICIPER DIGNEMENT A LA SAINTE COMMUNION » de Jean FAUQUENBERGES. Bagage de lecture à la fois bien mince et bien austère pour un garçonnet d’une douzaine d’années, « Mais notre Court lut avec avidité ces monuments de la piété qui l’affermirent dans ses sentiments qu’il avait déjà pour la Religion Réformée ». Dans les Assemblées, Court devient vite le lecteur de le Bible.
La clandestinité dès la fin de l’adolescence
On peut penser que, plus encore que ces lectures, furent déterminantes pour l’adolescent les rencontres avec les Inspirée et les clandestins du Désert. Le plus souvent, Court y retrouve des prophétesses, mais à quinze ans, il entend Abraham Mazel, un des chefs historiques de l’insurrection camisards qui sera pris et tué l’année suivante à UZES. A dir huit ans, ce sont Bonbonnoux, autre ancien camisard, Bouvière, Brunel. Trouvant bonne leur manière de prêcher, Court quitte sa mère et choisit la vie difficile et dangereuse du prédicant clandestin en accompagnent Brunel près de Vernoux; il y connaît ses premiers succès oratoires et y voit « la marque que Dieu approuve son désir ». Pourtant il émet quelques réserves sur la première Assemblée venue l’entendre; sur cette assemblée d’environ trente personnes, convoquée près de Vernoux, composée presque toute de femmes assez peu compétentes pour jugea de son discours et qui en furent si contentes que peu s’en fallut qu’elles le prissent pour un ange envoyé expressément du Ciel pour leur prêcher. Passant par Villeneuve, il obtient que sa mère accepte son choir, puis suit deux prophétesses, Cathon et Claire, en Uzègeois.
La rupture avec les inspirés
Assez vite pourtant, il doute de la mission que ces prophétesses prétendent remplir. Quelle est, dans leurs transes, la part de la sincérité et celle de la dissimulation? celle de l’inspiration d’essence religieuse et celle de ce que nous appellerions la névrose? Il renâcle à adresser, à leur demande, des menaces aux prêtres. Leurs prophéties ne se réalisent peu. « Il y avait peut-être vingt ans que tout ce qu’il y avait eu de prophètes et de prophétesses dans le haut et le bas Vivarais s’étaient accordés à prédire qu’il se tiendrait une Assemblée célèbre à un pré nommé Lacour, proche Chalançon. Mais aucun n’en avait encore fixé l’époque. Claire, plus hardie que tous les autres, la fira pour la Noël 1713. Le temps était court; le mois de Novembre allait être bientôt écoulé, nous courrions à grands pas vers l’époque marquée; l’esprit ne devait pas être longtemps en suspend. L’Assemblée devait être fameuse: des Anglais devaient y assister. Un arbre devait naître, croître et fleurir dans une même nuit où l’Assemblée devait se tenir. C’était sous cet arbre, d’une naissance et d’un accroissement si miraculeux, que devait se dresser une table où je devais administrez la sainte Cène. Tous ceux qui devaient m’assister à cette action sainte étaient nommés…. En vain, représentai-je à cette pauvre fille qu’elle hasardait beaucoup et qu’elle prédisait des choses fausses. Elle pria, elle jura, elle demanda plus d’une fois à Dieu de ne point la mettre à l’épreuve…. Elle arriva enfin l’époque décisive, mais rien de ce qui devait s’accomplir ce jour-là n’arriva avec elle; le pré fut couvert de neige; aucun Anglais ne parut; et personne ne se mit en devoir de se rendre dans ce fameux lieu. «
A dix-huit ans, Court montre un certain rationalisme dont il accompagnera désormais sa foi et rompt avec le mouvement des Inspirés « Je me déclarai contre tout ce qu’on appelait inspirations, et je travaillai à en faire connaître la source et les abus ». Ce qui lui vaut des attaques de la part des admirateurs des prophétesses. Il suit encore Brunel en Dauphiné, réussit à réunir quelques notables restés fidèles à la R.P.R. (religion prétendue réformée) à Loriol, à Plan de Baix, puis choisit « d’abandonner les malades à eux-mêmes » et de s’éloigner. Renonce-t-il à prêcher ?
A Marseille avec les galériens de la foi
Retourne-t-il à l’exercice du commerce? Le voici à Marseille. Il ne tarde pas à y réconforter les siens condamnés aux galères. Ils sont 150 qu’il est possible de visiter soit en soudoyant les gardes chiourme , soit parce que « la plupart des chambres sur ces maisons flottantes étaient données en garde à quelques uns des galériens protestants ». Il y rencontre le baron de Salgas, prisonnier.
C’est alors que lui parvient une lettre de Pierre CORTEIZ. Cet ancien Camisard, originaire de Vialas en Lozère, plus âgé que Court d’une douzaine d’années, vient par une démarche analogue à celle du Villeneuvois de rompre à la fois avec les recès du prophétisme et la violence des Camisards. Brunel lui a signalé les talents oratoires de Court. Autour de ces hommes qui se retrouvent près de Nîmes puis près de Saint Jean du Gard, va se reconstruire le protestantisme français, interdit depuis trente ans. Ils sont tous d’origine modeste. Ils tiennent diverses Assemblées puis se réunissent aux Mon-tèzes, à Monoblet.
III – LA DANGEREUSE VIE AU DÉSERT ET LE PATIENT TRAVAIL DE RESTAURATION DES ÉGLISES REFORMÉES (1715 – 1729)
Le premier synode de Monoblet: Août 1715: Les principes adoptés
Ils ne seront que 9, fin Août 1715, à se réunir près de Saint Hippolyte du Fort, à Monoblet: les mémorialistes protestants ne manquent pas de souligner la coïncidence de cette date avec celle de la fin de Louis XIV dans les ors de Versailles! Réunion modeste mais qui, étant la première depuis trente ans sur le sol français, se voit gratifiée du nom de « SYNODE ». Court est choisi comme secrétaire et modérateur ( Président et directeur des débats); les décisions sont, malgré le petit nombre de présents, prises à la pluralité des voir et non à l’unanimité. « (Cette assemblée) jeta les bases de l’ordre et de la discipline qui se sont observés depuis…. Court y fit passer des règlements dont les uns tendaient à l’extinction du fanatisme et les autres à imposer silence aux femmes prédicantes; il y représenta la nécessité qu’il y avait d’établir des anciens dans les Églises dont les principales fonctions étaient la direction des assemblées, de veiller à la conservation des pasteurs; de collecter en faveur des pauvres et de toutes les victimes de la persécution), d’être attentifs aux scandales et d’avertir les prédicateurs de tout ce qui serait nécessaire pour le bien du troupeau…. il fut établi dans cette assemblée deux anciens pour l’église de Monoblet qui était le lieu le plus proche… il donna aussi diverses règles de prudence pour la conduite des assemblées… il abolit l’usage que les prédicateurs qui n’avaient point d’émoluments ne puissent employer à leurs besoins les deniers collectés par les assemblées.(1)
Enfin, dès 1716, Court, pour prouver que le protestantisme, nié par les lois du Royaume, existe toujours, suggère de réunir le plus grand nombre de personnes dans le le grand nombre d’assemblées, pour montrer que le nombre de protestants était considérable et obtenir par là quelque tolérance ».
Refus des excès des Inspirés, rôle indispensable des pasteurs et des conseils d’anciens, affirmation de la foi malgré la persécution afin de faire appel à l’opinion publique, solidarité et discipline rigoureuse, à l’âge de vingt et un ans, Court a déjà arrêté les principes qui guideront sa vie. Il lui reste à définir les rapports que le minorité persécutée, donc clandestine, entend entretenir avec l’État et avec le Monarque. les évènements vont l’y pousser.
Ne rendre à César que ce qui est à César
La mort de Louis XIV qui a mis fin à la bigoterie des dernières années du règne, la Régence confiée à Philippe d’Orléans, neveu par sa mère de Charles Ier le roi protestant d’Angleterre (avec lequel un traité de commerce est signé) ont pu laisser espérer une remise en vigueur de quelques dispositions de l’Édit de Nantes. Mais l’opposition est vive avec le petit-fils de Louis XIV, le roi d’Espagne Philippe V, encouragé par son ministre des Affaires Étrangères, le Cardinal Alberoni. Ce dernier réussira, en 1719, à susciter un complot et un soulèvement de gentilshommes bretons; Alberoni compte également appuyer une insurrection protestante afin d’affaiblir intérieurement la Régence. L’épiscopat exploite cette rumeur contre les assemblées du Désert, et un envoyé du Régent, M. Genac de Beaulieu, de Crest en Dauphiné, rencontre Antoine Court. Celui-ci, assisté d’un prédicant d’Alès, Benjamin Du Plan dément sans ambiguïté ces accusations. Il écrit : « Nous voulons, avec la Grâce du Seigneur, jusqu’au dernier soupir de notre vie, rendant à César ce qui est à César, rendre à Dieu ce qui est à Dieu. Nos assemblées ne sont point tumultueuses. On n’y porte point d’armes. Nous n’avons rien à nous reprocher de ce coté-là, puisque nous blâmons toux ceux qui sont sortis de nos rangs pour suivre d’autres maximes que celles de l’Évangile…. on nous verra constamment comme des agneaux ou des brebis muettes qu’on lie, qu’on tond sans qu’elles crient, qu’on tue, qu’on expose à la boucherie.. Si les catholiques se retournaient contre le Prince, alors nous deviendrions des aigles et des lions pour le service du Prince et rien n’égalerait les preuves de notre courage et de notre fidélité » (cité par le pasteur Borrel, voir bibliographie). Cette lettre du 30 Juillet 1719 est suivie d’une deuxième qui, réaffirmait l’attachement à la liberté de religion, parait constituer également une mise en garde » La Cour peut demander tout ce quelle voudra LA CONSCIENCE A PART, les protestants sont prêts à sacrifier tout ce qui dépend d’eux mais si les pasteurs venaient à manquer, il se glisserait dans le peuple protestant des scélérats, des séducteurs qui feraient un ravage effroyable dans le pays ». L’autorité monarchique satisfaite offre à Court de faciliter sa sortie du Royaume s’il renonce à son action (ce qu’il refuse!) mais ne change rien au sort des Réformés.
La difficile et dangereuse vie au désert
Lee persécutions furent, toujours aussi rigoureuses. Avec les dispositions répressives bien connues qui punissent les assemblées surprises (pasteurs pendus, hommes aux galères, femmes en prison, projet de déportation vers la Nouvelle Orléans), il convient de rappeler que les maisons où se tiennent les assemblées sont rasées et que les villages sont lourdement taxés ou contraints de loger la troupe. Mesures propres à décourager les notables de la R.P.R. de trop s’engager, et d’encourager les délateurs. Mesures de peu d’effet pourtant: entre 1715 et 1728, sept assemblées seulement (selon Borrel) seront surprises alors qu’il s’en tient souvent une tous les deux jours!
La tête des prédicants est mise à prix: celle d’Antoine Court passe de 150 livres à 1000 écus (3000 livres) en 1723, puis à 10 000 livres en 1729 (5000 pour le délateur et 5000 pour la garnison qui réussira la capture). Leur signalement est diffusé. Plus tard, en 1743, lorsque Court reviendra en France (voir ci-après) il sera présenté comme « d’une taille de 5 pieds 4 pouces – 1,76 m env. – assez bien fait, portant ordinairement perruque courte, un peu marqué par la petite vérole, visage plein, nez aquilin, les yeux noirs, portant d’ordinaire un bouton d’or et d’argent à ses habits sans galon; il a toujours un chapeau bordé, portant l’épée et une canne ». Dans ses « Mémoires », Court raconte qu’il échappe plusieurs fois à la capture; en général il se mêle aux soldats qui le cherchent ou les suit de près: » il y a beaucoup moins de danger à rester auprès d’une maison qui vient d’être fouillée ». Il n’empêche qu’il passe en 1725, plus de 20 heures caché dans un tas de fumier, et une nuit de Noël glaciale dans un cabanon, au milieu des vignes en terrasses. Il souffre aussi de paludisme (l’a-t-il contracté aux abords de la Camargue?). Les accès duraient jusqu’à trente heures; le froid était si excessif qu’aucune couverture ne pouvait suffire… Un homme se mettait en travers par-dessus non seulement pour retenir les couvertures mais aussi pour contenir les mouvements convulsifs du malade. La chaleur qui suivait était accompagnée d’une sueur abondante qui perçait jusqu’au matelas ». Et ces crises durent jusqu’à 5 semaines. Il devrait pour se soigner « prendre les eaux à Euzet, entre Alès et Uzès, mais il déplore que les eaux minérales et les bains sont moins souvent le rendez-vous des infirmités corporelles que celui des divertissements elles ne servent souvent que de prétextes; la véritable raison qui y a conduit c’est le plaisir, et lorsqu’on y a épuisé le plaisir légitime, on s’y en permet de coupables.
Pourtant quelle inlassable activité déploient Court, Corteiz, Bonbonnoux, Brunel et les jeunes prédicants qui les accompagnent se formant sur le terrain! Il faut lire les Mémoires et les lettres de Corteiz récemment réédités. On peut aussi s’en faire une idée d’après le compte rendu cité par Borrel que Court, accusé par Duplan en 1728 de trop rester auprès de sa femme et de trop aimer la chasse, envoie à ce dernier (2) et dont voici un résumé : « Le 5 Mai: assemblée à Calisson – le 7: assemblée de Sommiéres, Lunel et Marsillargues; pour la première fois viennent des gens de distinction – Dimanche 9 Mai: assemblée à Vauvert et Beauvoisin, en plein jour – Suivent quelques jours de retraite: c’est la Pentecôte et pour les fêtes, la surveillance est toujours renforcée – Jeudi 20 Mai: prend parti à assemblée tenue par son jeune assistant le prédicant Bétrines – 21 Mai: assemblée à Si Hippolyte le Caton, avec des gens d’Uzès – 23 Mai : assemblée à Cendras et Lussan – 24 Mai: St Laurent et St Quentin – 26 Mai: Uzès et Montaren – Court se rend à Nîmes, y reste jusqu’au 31 Mai – 31 Mai: assemblée a Nîmes, la Calmette, St Geniès. l’assemblée a été « vendue »; il s’y rend quand mème dans la nuit obscure et pluvieuse, ne trouve qu’une partie des fidèles, donne la Cène – en Juin: assemblée à Lédignan, Lascours où il retrouve Claris – 3 Juin : assemblée à Banon, avec des gens d’Uzès mais sous une pluie très forte – 5 Juin: Chamborigaud et Castagnotl – 6 Juin: Genolhac, Pont de Montverts (5 baptêmes) malgré la pluie repas en commun (5 mariages)- le 7 Juin: assemblée en Lozère dans un Lieu ‘proche du précédent, sous la pluie. – 8 Juin: Florac – 10 Juin: St Julien et St Germain Calaberte – 5 mariages et tenue du synode de ce canton – 12 Juin: assemblée de Barre sous un orage torrentiel – 13 Juin: assemblée de Vébron, les Rousses, St André de Valborgne, l’assemblée a été dénoncée par le curé qui se met en route pour la réprimer puis y renonce – Jours suivants à Valleraugue et Meyruès, la présence des soldats empêche la tenue des assemblées. Réunion du synode de l’Aigoual. Le 18 Juin: assemblées nocturnes du Vigan, Aulas,Molière, 3000 personnes environ – La nuit du samedi au dimanche 19: Eglises de Roqueduc et de St Laurent; et le dimanche matin: Ganges, Sumène, St Hyppolyte le Château: orage puis temps très beau – le 22: assemblées à Quissac, puis Lezan, et Tornac – Nuit du 26: nouvelle assemblée – Le 29: Alès et Générargues – Le Vendredi 3 Juillet: assemblées à Peyrol, Saumane, St Roman et Moissac – le Dimanche 5 Juillet: assemblée à St Jean du Gard, La Salle, Anduze, des paysans, des nobles, des bourgeois communient – dans la nuit du 5 au 6 Juillet: Églises de Monoblet et de Durfort » Cette sèche énumération témoigne à le fois sur l’activité des pasteurs et sur la vitalité, treize ans après le « synode » de Monoblet d’un protestantisme qui a retrouvé son identité. En 30 jours, Court a présidé 32 assemblées du Désert, rencontré plus de 3000 fidèles, célébré la Cène, 15 mariages et 15 baptêmes; les autres jours, il a parcouru près de 400 kilomètres en pays montagneux. Qu’on en juge en suivant cet itinéraire sur une carte du Gard.
Encore faut-il convaincre les siens
Le prophétisme des Inspirés régresse mais il n’a pas totalement abdiqué. Les notables N.C., soit par peur des représailles sur leurs biens, soit par une méfiance naturelle à l’encontre de cette clandestinité, restent distants. Les exilés du Refuge, les pasteurs suisses expriment plus que des réserves sur la tenue des assemblées. Claris, futur pasteur du Refuge et grand oncle du fabuliste Florian, avant de se rallier à Court, a bien exprimé ces réticences: « elles font plus mal que de bien, donnent occasion à plusieurs désordres, font que les ennemis de la vérité (de la religion réformée) accusent de rébellion ceux qui se trouvent dans ces assemblées, sous prétexte qu’elles sont défendues par l’autorité royale. Enfin, reproche le plus pesant: les prédicants n’ont pas été reçus pasteurs. Le 3 Mai 1718, un synode estime que pour éviter ce reproche, Corteiz puis Court iront se faire « examiner et recevoir » en Suisse. Corteiz se rend à Zurich, en revient pasteur et, pour gagner du temps, le 21 Novembre 1718, il ordonne à son tour Antoine Court devant une soixantaine de fidèles « L’évènement était extraordinaire: on n’avait rien vu de semblable en France depuis la Révocation de l’Édit de Nantes. » Court est en effet le premier pasteur « reçu » sur le sol français depuis 33 ans !
Premier séjour en Suisse (1720-1722)
Pourtant cela ne suffit pas à apaiser les méfiances suisses. Alors Court, en 1720, rejoint Genève pour y plaider le légitimité des assemblées. Parti pour cinq semaines, il va y rester deux ans: la célèbre peste de Marseille de 1720 a rendu draconienne la surveillance des ponts et des bacs sur le Rhône. Sa mère Marie Gébelin lui écrit de Villeneuve en 1721: « On fait garde dans toutes Les villes du Languedoc, Provence, Dauphiné et avec tant exactitude que personne ne peut plus presque aller, ni venir, ni commercer en aucun endroit: c’est pourquoi je vous prie de demeurer encore quelque temps à Genève ». Le 12 octobre 1721, elle précise « on fait continuellement des lignes gardées par des gens de guerre, afin qu’aucune personne ne passe en deça l’Ardèche à peine d’être fusillée. Nous travaillons à clore toues nos faubourgs » Elle conclut sur un des thèmes familiers des sermons de Court: celui du repentir et de la mortification: « Les afflictions que nous avons sont grandes mais il faut les prendre comme venant à cause de nos péchés et se soumettre tous entre les bras de la divine Providence ».
A Genève, Court s’instruit, « Je n’ai jamais autant travaillé que pendant ses deux années »; il noue des liens avec les représentants des états protestants: Hollande, Prusse, Suisse, Angleterre, princes allemands; il les intéresse au sort des protestants français: bientôt Du Plan fera fonction auprès d’eux de délégué permanent. Court réussit, par l’intermédiaire de l’archevêque de Cantorbery à obtenir du Roi d’Angleterre qu’il accueille des protestants, prisonniers à La Rochelle et destinés à être déportés à La Nouvelle Orléans. Avec cette franchise un peu brutale née de la pratique des « remontrances fraternelles », CORTEIZ lui écrit pour lui rappeler qu’il manque au Désert cévenol « Vous avez mal fait de m’avoir abandonné…. Finalement s’il ne faut pas être imprudent, il ne ‘faut pas, non plus, être couard ou lâche ».
Court revient en Languedoc par Paris et Toulouse.
A son retour, il épouse Étiennette Pages d’Uzès qui va partager sa vie difficile et lui donner plusieurs enfants. Si l’on en croit une lettre de Pierre CORTEIZ à sa femme restée à Genève (12 Mars 1723) « Les frères et les anciens étaient informés de son fort amour avec Melle Pagès…. Nous lui avons dit qu’il fallait qu’il quittât ces familières amours qui n’étaient pas bien séantes à un pasteur qui sont dans l’état où nous. sommes, que les fidèles s’en scandalisaient – ou bien qu’il l’épousât mais qu’il se représente les funestes dangers ou il s’allait exposer en entrant dans le mariage. Et finalement M. Court, ni Melle Pagès n’ont pas été intimidés par la crainte du danger et ils ont demandé au colloque d’être épousés ». Corteiz bénit le mariage non sans remarquer, lui qui est marié depuis longtemps: « le célibat a des grands avantages au-dessus du mariage et surtout pour des personnes comme nous qui sommes au Désert: Je sais par expérience les embarras, les soucis, les distractions que cause le mariage: mais…. la parole de Dieu ne défend pas le mariage » (Mémoires et lettres inédites de Pierre Corteiz, voir bibliographie).
Cette action porte ses fruits Peu à peu les conseils d’anciens sont mis en place en Cévennes, en Bas Languedoc, en Uzégeois, en Vivarais, en Dauphiné où Court a reçu dès 1716, l’accord du pasteur Jacques Roger, âgé de plus de cinquante ans et qui a restauré les Églises de la Vallée de la Drôme. De jeunes prédicants se révèlent, se forment aux côtés des anciens. Certains ont été pris comme Étienne Arnaud, en 1717, près d’Alais. Condamné à Nîmes à être exécuté à Alès, le jeune prédicant aurait pu être délivré par un coup de main; Court a refusé, comme il refusera, en 1728, pour le jeune Roussel à Montpellier, « il vaut mieux donner des martyrs à l’Église qu’attire des troubles dans la province ou le blâme sus la religion » Attitude qui ne fait l’unanimité ni en son temps, ni devant l’histoire, même s’il faut reconnaître à Court la même rigueur pour lui que pour ses compagnons.
Les synodes, qui se tiennent plus régulièrement permettent de mesurer le chemin parcouru depuis Monoblet: certaines assemblées ont lieu en plein jour; elles sont de plus en plus fréquentées: l’évêque d’Alois en 1723 note « il se fait des assemblées de plus de 30 000 personnes; Les Églises (catholiques) ne sont plus fréquentées; on ne se marie plus à l’église; on ne fait plus baptiser ses enfants par les prêtres ». En mai 1726, le premier synode, « national », réunit en Vivarais autour de Corteiz, Court et Roger, neuf proposants, trente six anciens. Il recense 120 Églises organisées, 200 000 fidèles fréquentant les assemblées, 4 pasteurs et 18 prédicants « officialisés. Il « reçoit » Pierre Durand, le futur martyr, le frère de Marie, la prisonnière de la tour de Constance.
Ces chiffres sont-ils exacts ou supérieurs à la réalité? quelle que soit le vérité, il apparaît que le protestantisme a été restauré.
Le départ pour la Suisse La persécution se fait plus pressante et par trois fois en mars et avril 1729, Court échappe de peu eux soldats près d’Uzès et à Nîmes. Fin aôut il embrasse sa mère à Villeneuve et rejoint sa femme et ses enfants qui se trouvent déjà à Genève. Assez vite, il s’installe à Lausanne.
A-t-il fui le danger? Cédé aux instances d’Étiennette? Pressenti qu’il fallait continuer l’œuvre au-delà des frontières et donner à son action une dimension européenne ? Les pasteurs du Refuge n’étant pas venus sur le sol français, la nécessité d’un séminaire ne s’imposait-elle pas ?
IV – L’ACTION DE COURT EN SUISSE (1729-1760)
Le séminaire de Lausanne
Court n’a pas créé ce séminaire de Lausanne qui, de 1730 à 1809, (où les suites du Concordat permettront d’ouvrir une Faculté de théologie à Montauban), va former près de 450 pasteurs pour les Églises réformées de France; mois il en a été un des principaux animateurs.
Selon le pasteur P. Perret « Lausanne ne reçoit que trois étudiantes dans bon début, plus tard douze qui logent chez leurs professeurs. On leur inculque plus que des connaissances, L’ESPRIT DU DÉSERT: « J’entends par là, dit Court, un esprit de mortification, de prudence (on ne secourt pas ceux qui se font prendre par excès de témérité ou de bravade), de circonspection, de sagesse et surtout de martyr…. nous disposant à perde courageusement la vie sur un gibet ai la Providence noua y appelle… La polémique et la controverse y occupent une grande place, notamment sur le thème de la transsubstantiation, sur la papauté, les indulgences, le purgatoire, la vocation des Réformateurs ».
Est-il utile de rappeler en détail le long martyrologue des pasteurs amis pris et exécutés. Parmi eux en 1732: Pierre Durand; en 1739: Fauriel; Roger et Ranc en 1745; en 1746: Mathieu Majal, ce M. Désubas qui, arrêté, refuse d’être délivré par une émeute. L’ancien élève du séminaire montre ainsi que le message de non-violence que Court et ses amis lancent depuis 30 ans a été reçu. Michelet qualifie ce séminaire « d’étrange école de la mort qui, défendant l’exaltation dans un modeste prosaïsme mais sans se lasser, envoyait des martyrs et alimentait l’échafaud ».
L’ascendant moral de Court sur ses compagnons malgré quelques griefs contre sa « désertion » parait intact. Paul Rabaut, dans le Gard, se révèle un fidèle disciple. C’est Court qui reviendra régler en Languedoc l’affaire Boyer, et éteindre la menace de dissidence entretenue par ce pasteur; déplacement à peine clandestin au cours duquel Court fait même dire des prières publiques pour le Roi de France malade, et après lequel l’intendant Bernage écrit : Le nommé Court, fameux ministre résidant à Lausanne, qui était venu en Languedoc, pour la décision des affaires du nommé Boyer, autre ministre, est sorti de la province chargé de riches et magnifiques présents ». Il s’agit bien entendu de ce qu’il a collecté pour le séminaire de Lausanne et les exilés.
La solidarité avec les exilés et le désert
A Lausanne, il faut accueillir les familles des pasteurs condamnés (la veuve de Pierre Durand, celle de Fauriel) réunir les livres religieux venus de Rotterdam, Leyde, La Haye et par les colporteurs les faire entrer clandestinement en France, recueillir les fonds qu’envoient les pays protestants auprès desquels Duplan jusqu’en 1743, puis Court ensuite remplissent le rôle de DÉPUTE GÉNÉRAL DES ÉGLISES (3).
Ancrer le peuple protestant dans l’histoire de Fronce et témoigner devant la postérité
Dans le double but de montrer, en s’appuyant sur l’histoire, la légitimité du protestantisme français et de garder mémoire du temps des persécutions, Court rassemble inlassablement les témoignages de ses amis, ceux des pasteurs du désert qu’il sollicite d’écrire. Cet ensemble appelé les « papiers Court » est précieux pour la connaissance de l’époque. Court rédige même son « Histoire des troubles des Cévennes ou de la guerre des Camisards, sous le règne de Louis le Grand tirée de manuscrits secrets et authentiques et des observations faites sur les lieux-mêmes, avec une carte des Cévennes par l’auteur du Patriote Français et Impartial » somme d’un millier de pages, à laquelle les historiens contemporains reconnaissent des qualités de sérieux. Il multiplie les brochures « Relation historique des horribles cruautés qu’on a exercées envers les protestants de France pour avoir assisté à une assemblée tenue au Déscert prés de Nîmes en Languedoc »; « Lettre d’un Patriote sur la tolérance civile des protestants en France en 1756 » dans laquelle il argumente: « 90% des réformés réfugiés à l’étranger souhaitent revenir en France. Le Royaume gagnerait, par la tolérance, un million de sujets; on rendrait un état-civil à « 500 000 innocents, fruits malheureux des mariages clandestins (En 1755, un rapport de Monclar se prononce pour la séparation du mariage civil et du mariage religieux) L’interdiction du protestantisme fait souffrir le Royaume de la ruine des manufactures, de la décadence du commerce, de la faiblesse de nos colonies, de la diminution de nos forces maritimes, de la retraite des riches, du désespoir des pauvres;et, malgré cela, on trouve chez tous la constance à ne fléchir le cœur du Prince que part leur patience et leur attachement ».
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Au soir de sa vie, Antoine Court paraît avoir adhéré à une société maçonnique. Veuf en Juin 1755, malade en 1759, il s’éteint en Juin 1760 et est enseveli à Lausanne.
V – BILAN DE SON ACTION
A travers les notes qui précèdent, la vie de Court apparaît comme une illustration des conditions de vie et des questions propres au protestantisme français du Siècle des Lumières. Court a eu le mérite de restaurer ce protestantisme, d’avoir été le gardien de sa mémoire. On a pu lui reprocher de n’être pas un grand théologien (le pouvait-il ?), d’être un peu trop rationaliste, d’avoir fuit le danger en s’installant en Suisse, d’avoir parfois polémiqué avec ses compagnons (avec Du Plan notamment), d’avoir mis les femmes à l’écart dans l’Église vu que ce n’est pas « au sexe féminin de porter à la main à l’encensoir « ; plus gravement d’avoir accepté de laisser aller ses disciples au martyre (mais refusait-il le danger pour lui-même ?). Comment ne pas retenir la constance de son action, son talent d’organisateur, l’importance que, bien que de condition modeste et après des études courtes, il accorde à sa formation intellectuelle comme à celle de ses étudiants. Comment ne pas être frappé par une démarche, sans doute neuve au XVIIIème mais restée riche de résonances de nos jours; il dénonce et refuse le cycle violence – répression-violence qui se nourrit de lui-même, il défend une minorité brimée en faisant connaître sa situation à l’opinion publique; il en appelle à la solidarité internationale, et, surtout, il sépare nettement ce qui est dû à Dieu – disons à la conscience – et ce qui est dû à César acceptant l’obéissance à l’État pour autant que cet État n’empiète pas sur la liberté de conscience et de religion. Ne peut-on alors le considérer comme un des précurseurs de la laïcité ? N’y aurait-il pas là un thème de réflexion qui nous conduit aux problèmes que bien des minorités – religieuses, raciales, sociales, politiques, ethniques, culturelles – peuvent se poser en 1984.
Et qui font d’Antoine Court à la fois un homme de son temps et notre contemporain.
Maurice BOULLE – Novembre 1984
Notes :
(1) Assemblées – En fait Corteiz et Vesson, bien que chargés de famille, attendront 1718, pour recevoir l’un 150 livres et l’autre 20 livres plus quelques sacs de blé et de châtaignes. Court ne recevra rien jusqu’en 1723 !
(2) dernier – Est-ce l’effet de la vie au grand air? Corteiz dans ses lettres vante la saveur des truites cévenoles. Court ayant échappé à la capture en se cachant dans un lit, prend un malin plaisir, le lendemain, à chasser avec son hôte dans la propriété même du Lieutenant du Roi. (Mémoires)
(3) Eglises – Son fils Court de Gébelin lui succédera, puis le fils de Paul Rabaut que Court héberge chez lui pendant ses études en Suisse et qui deviendra sous le nom de RABAUT-SAINT ETIENNE, un Constituant, auteur du fameux discours qui précède le vote de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen le 23 Août 1789: « Ce n’est pas la tolérance que je demande mais, la liberté. La tolérance ! Le support! Le pardon ! La clémence, idées souverainement injustes envers Les dissidents…. Je demande Messieurs pour tous les protestante français ce que voua demandez pour vous: la liberté, l’égalité des droits ».
ICONOGRAPHIE : il n’existe pas, semble-t-il, de portrait d’Antoine Court. Une salle lui est dédiée au Musée du Désert à Mialet (Gard)
BIBLIOGRAPHIE
Œuvres de Court :
« Mémoires » (1695-1729) avec préface d’Edmond Hugues, édités à Toulouse, société des livres religieux – 1885 – 219 p; en appendice 5 lettres de Marie Gébelin à son fils, pendant son séjour à Genève en 1720-22 (ouvrage largement utilisé ci-dessus).
« Histoire des troubles des Cévennes ou de la guerre des Camisards » 1ere édition 1760, réed. Laffitte Reprints, Marseille 1978
» Lettre d’un patriote sur la tolérance civile des protestants en France, 1756″ et « Relation historique des horribles cruautés qu’on a exercées envers les protestants pour avoir assisté à une assemblée tenue dans le Désert près de Nîmes en Languedoc ». Ces deux textes figurent dans « Anthologie protestante XVIIIème et XIXème de Raoul Allier . Edit. G. Cres et Cie, Paris 1920
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Biographies de Court :
Samuel MOURS – Notice sur Antoine Court dans « Portraits huguenots vivarois ». Musée du désert 1948.
Philippe CARDON – Antoine Court, une vie au service du Désert, biographie établie d’après ses Lettres. Mémoire sous la direction de Pierre Chaunu en Sorbonne 1980, non commercialisé. Un exemplaire aux Archives à Privas
Pasteur Paul PERRET: Antoine Court ou les difficultés de l’œuvre de restauration protestante en France au XVIIIéme: Imp. Ducros Lombard: Valence (sans date, 64 p. plus une analyse qu’un exposé des faits).
Pasteur A. BORREL à Nîmes, biographie d’Antoine Court, auteur de la Restauration du protestantisme en France après la Révocation de l’Edit de Nantes ou ÉPISODES de l’histoire des églises du Désert cévenol de 1713 à 1760. Toulouse, société des livres religieux, 1863, 324p. cite de nombreuses lettres adressées par Court aux autorités, mais sans en donner Les références exactes.
ROUX Jacqueline – Antoine Court et Benjamin Duplan, Revue du Vivarais, numéro spécial du 700éme anniversaire de Villeneuve, n°3 de 1984 pp 145-157.
Mémoires des autres pasteurs du désert ou des inspirés.
CORTEIZ Pierre: Mémoires et lettres inédites. Société arts, lettres et sciences. Mende 1983 (document de premier plan, Court y out souvent mentionné, vu par son aîné et fidèle compagnon).
MAZEL, MARION, BONBONNOUX – Mémoire sur La guerre des Camisards, avec cartes et préface de Philippe Joutard. rééd par Presses du Languedoc de textes publiés en 1883 et 1931 – 1983. en tout 425 p.
MISSON Maximilien – Théâtre sacré des Cévennes réédit en 1978 d’un texte paru à Londres en 1707, accueil de témoignages d’Inspirés – Presses du Languedoc.
Pasteur B0ST – Première vie de Pierre Corteiz – Fischbacher, Paris 1935
Pasteur BOST et Pierre BOURGUET – Trois obstinés religionnaires: Bernard, Rouvière et Ranc, Bibliothèque société histoire du protestantisme 1930.
Musée du VIVARAIS PROTESTANT. PRANLES – La famille DURAND du BOUSCHET de Pranles – édit Réveil 1984 – 64 p. 35 illustrations.
Sur les camisards :
Les ouvrages de DUCASSE, Les mémoires de Jean CAVALIER sont bien connus, ainsi que les indispensables travaux de Philippe JOUTARD
Sur les églises sous la croix du Vivarais
Jean ESTEOULE – Vie et passions huguenotes au cœur du Vivarais, Curandera, 1982, essentiellement sur les Bouttières, fourmille de détails.
Philippe JOUTARD, Henri MANENT – Une foi enracinée: La Pervenche de 1685 à 1820, préface de L. Schneider. Valence, 1972. La vie du hameau protestant de la Pervenche à St Julien du Guâ, analysée à travers les documents conservés. Remarquable.
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Signalons encore que Guy VASSAL, dans sa pièce LA GRIFFE DU LION confronte Court aux Camisards, à l’occasion de l’arrestation d’Étienne ARNAUD. La fiction théâtrale reste proche des faits connus et illustre le débat d’idées. La pièce jouée en 198s au pied de la tour de Constance à AIGUESMORTES est éditée dans l’ « Avant-Scène Théâtre » (n° 752-Juin 1984)
Sources : Article extrait de la revue » Études Drômoises » N° 64 de mars 1985 – avec autorisation AUED – http://www.etudesdromoises.fr/pdf/06s-03.1985.1.pdf