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ToggleRelations des curés avec leurs paroissiens dans le diocèse de Die à la fin de l’Ancien Régime
Chaque village constituait une paroisse dont les limites étaient dans la plupart des cas identiques à celles des communes actuelles.
A la tête de chaque paroisse, on trouvait un curé nommé par l’évêque. Dans le vocabulaire ecclésiastique, une cure s’appelait un « bénéfice ». Ce bénéfice consistait pour le curé au droit de percevoir une dîme sur les revenus agricoles de sa paroisse.
Le droit ecclésiastique prévoyait, que pour vivre, les curés devaient recevoir une pension alimentaire : « la portion congrue ». Dans leurs paroisses les curés n’ont d’autres revenus que la portion congrue. Cette somme avait été définie une fois pour toutes, en argent du moment où on avait fait la vente, et elle n’était pas révisable. La portion congrue, seul revenu annuel fixe garanti au desservant de la paroisse, est fixée par édit royal. De 300 livres en 1690, on l’a portée à 500 en 1768 et à 750 en 1786, sans que ce dernier chiffre garantisse pour autant un pouvoir d’achat équivalent à celui de 1690. Au fil du temps et des siècles, toutes les érosions monétaires l’avaient assaillie, et que par conséquent elle était devenue progressivement de plus en plus mince et de plus en plus dérisoire. De tels tarifs expliquent aisément la disette des prêtres. La hausse des prix rend leur situation financière de plus en plus précaire.
Entre temps comme il avait bien fallu qu’ils vivent, ces curés avaient inventé le casuel, c’est à dire qu’ils faisaient payer leurs services religieux. Ils prélevaient sur leurs paroissiens une certaine somme pour les enterrements et les mariages. Mais ces rétributions perçues pour l’administration des sacrements sont d’un rapport trop modique et trop variable, et, compensent mal cette insuffisance : à paroissiens pauvres, curé désargenté. Parfois, les morts sont une surcharge pour le curé, va jusqu’à déclarer un desservant à qui il arrive de payer de sa poche les frais d’enterrement.
Parfois des ressources complémentaires se trouvaient essentiellement sous forme de dons. En premier lieu les quêtes mais le produit en était très modique car l’argent était rare. Il ne circulait guère chez les paysans que des pièces de bronze et d’argent. Seuls les nobles, les riches bourgeois, les marchands disposaient vraiment de numéraire. Le rendement des quêtes était donc très minime. Mais il y avait aussi et surtout les legs testamentaires. Ces legs étaient souvent modestes, quelques livres tout au plus, mais ils pouvaient être parfois beaucoup plus importants en particulier de la part de ceux qui n’avait plus de proche famille. La paroisse pouvait ainsi hériter d’une prairie, d’une lande, ou même, à l’occasion d’une métairie toute entière. C’est ainsi qu’au fil des siècles, la paroisse s’est constituée un patrimoine foncier plus ou moins important; quelquefois dérisoire, d’autres fois fort appréciable, cela dépendait, dans chaque paroisse, des hasards de l’histoire.
Maintenant, comment s’organisait la vie matérielle de la communauté paroissiale ?
Bien qu’il y ait des ressources, Il fallait assurer les dépenses; et des dépenses il y en avait. L’entretien des bâtiments de l’église et du presbytère, et ce pouvait être parfois très lourd lorsque apparaissaient par exemple des problèmes de toiture ou de fissures dans les voûtes ou dans le clocher sur des constructions qui, déjà, à l’époque, pouvaient avoir quatre ou cinq siècles. L’achat des ornements liturgiques, des statues, des bannières. Le luminaire qui constituait un poste de dépense important; on ne connaissait que les cierges de cire d’abeilles et la moindre chandelle valait à elle seule l’équivalent d’une journée de travail féminin. Le curé ne contribuait en rien à ces frais là. C’était l’affaire de la communauté.
Outre ses fonctions pastorales de dispensateur de la parole chrétienne, le curé est également en charge de services essentiels à la vie en communauté.
Bien qu’étant hommes d’église, les curés n’en étaient pas moins soumis aux défauts inhérents à la nature humaine.
Parfois, c’est le comportement du curé, et non celui de ses proches, qui suscite les bavardages des paroissiens. On accuse le prêtre d’être trop lié à certains laïcs qui partagent sa maison, de négliger son ministère, d’afficher une conduite suspecte, peu en accord avec l’engagement sacerdotal. Le nom de certains curés réputés particulièrement exigeants ou colériques fait en effet frémir les jeunes prêtres. Les archives conservent plusieurs histoires de rapports difficiles qui expriment bien les tensions que suscite au quotidien leurs comportements. Des prêtres extérieurs à ces conflits sont envoyés sur place pour assurer le service du culte. La paroisse pourrait ainsi, espérait-on, retrouver la quiétude d’antan.
Dans le Diois
Qu’en était-il dans les vallées du Diois ? Un extrait du document de Jacques Lovie, nous en donne un aperçu sur les relations des curés avec leurs paroissiens dans le diocèse de Die à la fin de l’Ancien Régime. – Bulletin de la Société d’archéologie et de statistique de la Drôme (1932-10); 1933/10 (T64,N260) ; 1935/01 (T65,N265) ; 1936/01 (T66,N269) –
Il importait évidemment à un apostolat fécond, que les relations fussent bonnes entre les curés et les fidèles. Sur ce point capital, nous possédons des renseignements directs, les plaintes et les témoignages des habitants conservés dans les archives de l’Officialité, et plus rarement dans les insinuations, et les correspondances privées. Indépendamment de leur valeur intrinsèque, ces documents de première main sont vivants et pittoresques, et nous nous efforcerons d’évoquer cette société disparue. Il est toutefois bien entendu que si instructifs soient-ils, ils ne font guère connaître que le mauvais côté, laissant, de par leur nature même, dans l’ombre et les traits édifiants et la majorité des prêtres.
Le curé arrivant dans ces communautés montagnardes, très isolées, reliées entre elles par de simples chemins muletiers, n’était pas toujours assez souple pour s’adapter à l’esprit très particulariste des habitants. Le Trièves ne ressemblait point au Désert, ni la vallée de la Drôme à la région de Grignan. Quelques-uns débutant dans les environs de leur pays natal se trouvaient de suite à leur aise, tel Oddoz-Mazet, originaire du Monestier de Percy, curé commis de Tourannes, de 1766 à 1773, et titulaire de Treffort, de 1773 à 1786. Son départ de Treffort pour Saint-Agnan fut, aux dires de Reval, curé de Sinard, desservant la paroisse par bis cantat pendant quelques mois, l’occasion de scènes touchantes.
« Le jour que je fus dire la messe, je ne pus me tenir de mêler mes larmes avec les leurs, je voulus les exhorter un moment à conserver dans leur cœur les bons principes que vous leur aviez donné, les larmes coulèrent de tous les côtés » On aurait voulu le retenir en payant la pension qu’il avait promise à son prédécesseur à Saint-Agnan et en lui fournissant son bois de chauffage. A Saint-Agnan, naturellement, le bon curé s’imposa d’emblée : « Je viens d’apprendre par des gens de Saint-Agnan. que vous vous donnez une peine inconcevable ; je ne saurais vous dire les éloges qu’ils m’ont fait de vous ».
Sans doute se dépensait-il dans son église en pieuses exhortations et dirigeait-il avec zèle bureau des Pauvres et Confréries ; mais il devait aussi imiter, à dix années d’intervalle Genesy, curé de Chastel-Arnaud qui « allait très souvent à la promenade voir ses paroissiens à leur travail » (1). Les paysans aimaient (et aiment encore d’ailleurs) que l’homme de Dieu sorte dans le village en dehors des offices et vienne échanger quelques mots avec ceux qui sont courbés sous la loi du travail, et Guiraud, successeur de Genesy, manquait de souplesse et de bon sens qui ne le devinait point. Aussi les mauvaises langues prétendaient elles que la compagnie de sa servante, malheureusement jeune, lui était plus agréable que celle de ses paroissiens.
C’est cependant de l’excès de familiarité que devait sortir le plus de maux. Trop souvent le curé cherchait ouvertement à s’imposer et prenait des initiatives peu goûtées de ceux dont elle troublait la vie privée et les habitudes.
Nous surprenons le curé en bien des endroits où sa présence n’était pas indispensable, sur la place publique, par exemple, mêlé aux joueurs de boules, paysans rudes et quelquefois malveillants. Mazet, curé de Bamave en 1743, n’hésitait jamais à commencer une partie avec « le premier qui se présentait » (2). Le cabaret avait souvent sa visite. Il buvait avec des domestiques de ferme, des journaliers, sans distinction d’âge et de religion ; un jour même un nouveau converti étant .venu lui apporter le paiement d’une messe, il refusa, préférant une bonne bouteille vidée en commun au bouchon voisin. Et il exhortait ses compères : « Buvez, mangez, je vais chanter vêpres, et reviendray.. »
Pascal, du Pilhon, et Gilly, d’Aurel, goûtent aussi la compagnie des ivrognes du village. Gilly se vante même « d’avoir bu jusques à quatorze bouteilles avec un seul buveur tel que luy » (3). Blayer, curé de Beaumont, va chercher ses paroissiens au travail pour jouer aux cartes et les exhorte à résister à leurs femmes qui les viennent quérir (4)..
Certains avaient même le malheur de loger au cabaret, faute de maison curiale, comme à Aleyrac, pendant longtemps et à la Roche Saint-Secret, dans une atmosphère agitée et joyeuse. Bertrand, curé de la Roche Saint-Secret, de 1747 à 1762, résiste aux diverses tentations, mais Aubert, plus jeune et moins sérieux, pendant l’année qu’il y passa, fut un joueur et un danseur plein d’entrain. Il y prit de mauvaises habitudes qui entachèrent gravement sa vie morale. Aussi dangereuses étaient les pensions prises chez des particuliers. Aubert quitta le cabaret pour la maison de la respectable demoiselle Guilhe, tante de Grosset, notaire à Taulignan, qui eut lieu de se repentir de lui avoir confié la gestion de ses biens et de lui avoir permis de faire la connaissance de la jeune fille qui la soignait.
Mazet, curé de Barnave, après huit mois de séjour dans la maison du sieur Delaye, notaire, en retint le chemin, surtout en l’absence dudit Delaye ; il y passait la veillée, il y retournait de grand matin et s’y plaisait au point de sacrifier sa messe, un jour maigre, pour une bonne assiette de soupe de viande à prendre en tête à tête.
Quelquefois, c’était la maison curiale qui devenait le siège de réunions agréables. Au cours de l’hiver de 1755, Thibon, curé de Volvent, avait pris l’habitude, après avoir passé la veillée chez Faure, un de ses paroissiens, d’inviter chez lui une des fileuses de laine de la maison, avec la vieille fille qui la logeait.
« Si vous avez froid, venez vous chauffer. Je fais grand feu ». A l’intérieur l’on trouvait table mise près du feu, l’on faisait cuire des châtaignes sous la cendre, l’on recourait au placard abondamment garni (5).
Certains poussaient les choses plus loin et avec un absolu sans-gêne, prenaient leur paroisse entière pour un pays conquis et vexaient profondément toute la population.
Ils leur causaient des torts spirituels, tout d’abord : refus de sacrements par négligence (Beaumont, Aurel) ou pour ne pas interrompre une partie de cartes (Béconne), catéchisme fait par le maître d’école (Barnave) ou par le curé mollement étendu sur un banc (Roche-St-Secret), offices dit après boire (Le Pilhon, Aurel), tarifs exagérés, surtout à l’égard des nouveaux convertis, les derniers à qui pareille vexation eût dû être infligée, moqueries à l’égard des fidèles, absences injustifiées, brutalités dans l’exercice du culte (6).
Ne nous étonnons point d’entendre les gens du Pilhon parler de la « calamité de leur infortunée paroisse ». Des paysans vivant chichement devaient être très sensibles à d’autres vexations. Le curé Aubert percevait plus de dîmes que son dû, et Bourrillon, à Béconne, laissait si longtemps les grains dans les aires des particuliers avant de prendre sa portion, qu’une partie de la récolte se perdait. Richard, à Pradelles, terroir aussi pauvre que celui de Béconne, se vit intenter un procès pour un motif qui montre combien les paysans étaient susceptibles quand il s’agissait de jours grains. Frau, muletier, avait promis au curé un mulet pour amener dans son grenier le produit des dîmes,. Mais, par malheur, quand il voulut commencer sa tournée; les mulets étaient entre les mains de Lombard, d’Espenel, propriétaire d’un champ à Pradelles.
« De quoi vous avisez-vous de conduire un mulet que Jean Frau m’a promis ?
Monsieur, ayez la bonté de souffrir que je fasse ce voyage, puisque les montures sont chargées. Cela est fait dans un moment ». Le curé ne voulut rien entendre. Il exigea non seulement les deux mulets promis, mais encore un troisième, à Etienne Frau, frère de Jean-Louis. Il prit alors les gerbes et commença par les jeter à terre sans aucun ménagement. Lombard voulait les recharger, mais pendant qu’il en mettait une, le sieur prieur en jetait deux par terre, sans qu’il pût empêcher qu’il ne fit perdre du bled en secouant le mulet. Le curé renversa le marchand, coupa avec un couteau les cordes retenant les bigues, jeta les gerbes à terre et s’empara des mulets par la force. Lombard se plaignit non pour les coups reçus, mais pour le grain perdu, tant c’était à ses yeux chose importante (7).
Que devait-on penser de ceux qui chassaient à travers les récoltes (Saint-Sébastien-en-Trièves, Montjoux, Roche-Saint-Secret), ou ouvraient un sentier à travers les prés du voisin. (Saint-Julien-en-Vercors). Non seulement des paroissiens subissaient un préjudice matériel de la part de leur pasteur, mais encore n’étaient-ils plus certains de pouvoir se réjouir en famille ou régler leurs affaires à leur convenance. Nous connaissons en effet deux cas où le curé s’invitait lui ou sa servante aux repas de cérémonie et un autre de captation d’héritage.
Il est aussi question, ça et là, d’injures, voire de brutalités envers des paroissiens à Barnave, Saint-Laurent-enRoyans, Villeperdrix, Luc, Espenel, Pradelles, lés Près, Châtillon, St-Julien-en-Vercors.
Les procès nous révèlent des scènes tumultueuses et nous pouvons même reconstituer certains dialogues très pittoresques (8). Les discussions qui nous amusent aujourd’hui scandalisaient à l’époque et les âmes sensibles en ressentaient de douloureux contre-coups, comme des fautes rapportées plus haut.
Pourtant il ne semble pas que les relations entre le clergé pris dans son ensemble et les fidèles en aient souffert beaucoup. Un homme se discréditait, mais personne ne songeait à nier pour autant la mission religieuse du clergé et à secouer son autorité.
A ce propos l’exemple de Faure est typique : il se laisse aller à dire à son curé des injures graves,mais il n’en veut, et il le spécifie qu’au « castellan », au féodal qu’il sent derrière le prêtre.
En cinquante ans, c’est à peine si l’on peut relever quelques déprédations commises ici ou là : une vigne abîmée, un gerbier des dîmes incendié en 1746 ou une agression à main armée en 1754 et en 1765.
Nous ne pouvons guère noter de 1740 à 1790 que deux cas d’anticléricalisme. Les gens de St-Sébastien-en-Trièves et de Volvent détestaient leurs curés, sans que nous puissions savoir au juste pourquoi. Haine de protestants, maladresse du prêtre, ou irascibilité toute particulière de certains. Dans ces paroisses des personnes que nous ne pouvons identifier, protestantes et jouissant de beaucoup d’autorité menaient des cabales contre le curé en vue d’obtenir son départ avec l’aide de catholiques timorés ou très violents.
Tous les moyens étaient bons. En 1755, Freychet à Saint-Sébastien constata que des libellés circulaient dans le pays contre lui, anonymes puis signés par quelques paroissiens soi-disant mandatés par leurs concitoyens. Il en fut envoyé jusqu’à Versailles, au comte d’Argenson.
Freychet, prenant l’offensive fit informer à trois reprises, obtint une rétractation avec paiement des frais. C’est alors qu’un nommé Pierre Brochier, seul catholique de son hameau, avoua avoir cédé aux menaces de protestants exaspérés (9).
De nouveau, l’on se plaignit de lui en 1757, l’accusant de faits abominables commis 12, 15, 16 ans auparavant, et il dut, pour avoir la paix, quitter la paroisse avec l’autorisation de l’évêque. Son successeur, à la différence de Volvent, se maintint sans peine. A Volvent tous les curés durent fuir de 1740 à 1762. Les protestants paraissent avoir ici aussi joué un rôle, mais puissamment servis par le seigneur du lieu, Bernard, un malade, visiblement atteint de la folie de la persécution, qui avait pour lui ses domestiques, ses fermiers et la crainte qu’il inspirait aux habitants. Comme les accusés n’étaient pas disposés à le laisser manœuvrer, ce ne furent pendant de longues années que libellés, maritoires, disputes sur la place publique, menaces de coups, jusqu’au refus de moudre le grain du curé.
Trois durent partir, Aillaud, la Tour du Crêt et Rioud. Le quatrième fut Thibon, qui fut espionné sournoisement à propos de sa vie privée. Lors du procès, des paroissiens vinrent avouer naïvement ou cyniquement, avoir fait le guet la nuit, ou regardé par le trou de la serrure ou pénétré dans la cure, au mépris de toute discrétion.
Condamné, à raison semble-t-il, Thibon partit. Son successeur, le dominicain Pie Cuissot, curé-commis, sentit dans l’ombre des complots menaçants, essuya des injures, crut une nuit à une attaque de la maison curiale par le toit, et retourna dans son couvent. Si graves étaient les dangers courus qu’il demanda pour revenir, avec le droit de loger dans la maison qu’il lui plairait, cinquante livres par mois, sans compter la nourriture et le logement, un enfant de chœur fourni par la communauté, un homme pour l’accompagner partout et trois catholiques de son choix pour le protéger dans le cas où il aurait à administrer les sacrements la nuit (10). Hâtons-nous de le dire, ces deux paroisses mises à part, aucune n’a été le théâtre d’incidents sérieux.
Si peu de curés ont été persécutés, tous en revanche, et tous les détails que nous avons rapporté en témoignent, ont été observés avec une minutie extrême. A cet égard, dans bien des paroisses, des prêtres maladroits ou timides rencontrèrent des difficultés ou ne purent développer toutes les ressources de leur apostolat. Par un juste retour des choses, ceux qui tenaient la main à l’exécution des édits royaux étaient en butte à la méfiance des nouveaux convertis ; d’où un malaise sourd qui empoisonna la vie religieuse de bien des paroisses.
Ce malaise, la fin de l’Ancien Régime le vit s’évanouir avec le relèvement de la moralité des prêtres et avec la fin de la persécution. Il y eut plus de confiance vis-à-vis du curé, moins de hauteur et de mépris pour des catholiques douteux qu’il fallait à tout prix ménager.
La situation fut encore éclaircie par la disparition des nouveaux convertis eux-mêmes dont les 9/10 redevinrent protestants et ne connurent plus le curé.
En 1790 l’union des populations et des curés sera assez intime pour qu’ils aillent ensemble à la Révolution avec joie et que deux seulement refusèrent d’adhérer à la constitution civile du clergé.
L’évêque Mgr Gaspard-Alexis du Plan des Augiers
Nous ne saurions laisser dans l’ombre le personnage le plus en vue du clergé diocésain et dont l’attitude et les divers actes dans cette période difficile qui a précédé la Révolution pouvaient être ou très avantageux ou désastreux pour la vie paroissiale et l’activité religieuse du diocèse.
De 1742 à 1794 un seul prélat a occupé le siège ; aussi se doute-t-on de son importance.
Mgr Gaspard-Alexis du Plan des Augiers était né à Digne le 10 juillet 1709. Sa famille était d’excellente noblesse provençale ; son père occupait les fonctions de trésorier général au Parlement de Provence et un frère de sa mère, Guillaume d’Hugues, d’évêque de Nevers devint archevêque de Vienne, où il mourut en 1774.
Sa carrière fut rapide. Il devint, aussitôt ses études de théologie terminées, vicaire général à Lyon, puis sur le refus de Gauthier d’Auribeau, chanoine d’Apt, évêque de Die en 1741, à l’âge par conséquent de 32 ans. Il fut le dernier évêque de Die, le diocèse est supprimé (1790). Le 4 août 1792, le « citoyen Plan » prête le serment « Égalité Liberté« , afin de conserver le bénéfice de sa pension et meurt à Paris, faubourg Saint-Germain, le 27 nivôse An II (16 janvier 1794), âgé de 87 ans dont 49 à la tête de son diocèse.
Il nous offre à cet égard un bon exemple des débuts rapides de certains nobles bien en cour. Pour obscur qu’il pût être, l’évêché de Die était réputé pour ses difficultés géographiques et la présence de nombreux protestants ; de plus, les deux de Cosnac, oncle et neveu, prélats brillants et fort connus à Versailles et à Paris l’avaient certainement mis en vedette. Il n’est pas douteux que l’on n’ait cru faire au jeune Plan des Augiers une insigne faveur en lui confiant ce diocèse.
Nous n’avons aucune description physique de l’homme et un seul portrait moral très partial parce qu’incomplet nous a été brossé dans un pamphlet de 1789. Plutôt que de rapporter ces traits ici nous avons préféré en faire état longuement à propos des relations du prélat avec son clergé et des réactions de l’opinion publique à son sujet.
Nous dirons simplement qu’il passa bien vite pour un homme très dur et très exigeant. Ses actes le révèlent cassant et autoritaire, par nécessité et par tempérament. Il aimait l’argent, non pour les jouissances qu’il procure mais pour le plaisir qu’il y a à mener une affaire et à gagner une chaude partie. D’autres auraient adhéré au mouvement physiocratique, lui se contenta de procès. Il joua sur le passé et non sur l’avenir ; car son esprit n’était pas aventureux et son imagination peu fertile.
La possession de l’argent fait aimer parfois le luxe ; elle recommanda l’austérité à cette nature aride. Il se plut à vivre à l’écart dans son château de la Salle, aux environs de Die. Son personnel était peu nombreux, puisque vingt-cinq laïcs ou ecclésiastiques suffisaient à tous les besoins de la direction du diocèse et de sa maison. Point de réceptions, point de cour, point de salon ni de petits vers. Pas même la lecture de traités d’économie qui passionnaient alors tant d’évêques. Bien que l’activité de certains dans cet ordre ait été parfois préjudiciable à la vie religieuse, le Diois y eût du moins gagné quelques canaux d’irrigation ou quelques routes que l’autorité royale oubliait de tracer.
Ce point de vu importe peu dira-t-on ; un évêque n’est pas un administrateur public ; certes, mais peut-être manquât-il ici l’occasion de s’attirer quelques sympathies précieuses.
On ne cite de lui aucun trait qui montrerait une piété plus édifiante que ses semblables et aucun de ses contemporains n’eut l’intuition qu’un feu intérieur bien ardent consumât son âme. Au vrai, nous ne saurions le lui reprocher puisque Dieu n’exige compte que des qualités qu’il donne, mais il eût été utile que les ouailles eussent parfois l’impression contraire.
Ses qualités en effet n’étaient pas celles d’un animateur.
Il fut toute sa vie très attaché à son diocèse et à sa besogne administrative. Chose rare à cette époque et pour un diocèse aussi pauvre, il résida continuellement, ne s’absentant que pour des voyages d’affaires, à Paris notamment pour assister aux assemblées du clergé, où ses interventions étaient écoutées. Chose rare aussi, il accomplit ses devoirs de pasteur en visitant presque toutes les paroisses de son diocèse. Il le fit par raison d’ailleurs, plus que par goût, puisqu’il n’entreprit qu’une seule grande tournée portant sur plusieurs années de 1763 à 1771 et visiblement sans comprendre les besoins réels du diocèse, sans savoir les discerner plutôt, faute de qualités d’intuition.
Il visite, en effet, dans les paroisses, l’église dans tous ses détails jusqu’au dernier des chandeliers : il vérifie si le Saint Sacrement est dans la réserve, si la lampe est entretenue, si les possesseurs de bancs ont les titres voulus, s’il y a des confréries et qu’elles ont leurs biens et leurs ornements, les. revenus du curé, l’état de sa maison, le nombre de catholiques et de protestants, le nombre de communiants, les chapellenies et le nom de leur titulaire, l’état du cimetière et enfin les écoles et les sages-femmes et l’hôpital. Il est parfois saisi de quelques affaires : irréligion, mœurs, institution de vicaires. Revenu à Die, il a sous la main un véritable répertoire qu’il consulte souvent : il règle en leur temps les procès à lui soumis, rappelle vigoureusement à l’ordre prieurs, décimateurs, chapelains suspects de négligence et les infidèles perturbateurs de l’ordre établi. C’est suffisant évidemment pour entretenir la vie religieuse, mais point pour apaiser l’agitation et le trouble des âmes qui allèrent grandissant de 1750 à 1789.
D’ailleurs les procès-verbaux de visite ne donnent pas l’impression d’un contact bien intime avec les paroissiens.
Cette impression, un fait la confirme. Ces visites n’ont été commencées qu’après vingt ans de présence à Die. Nous verrons qu’au cours de ces vingt années la lutte avait été très vive avec les protestants. Plan des Augiers paraît avoir déchaîné une véritable persécution, sans rien connaître de la vie paroissiale ni des moyens d’action à employer pour réussir. C’est qu’il était homme de bureau avant tout et que le contact des hommes lui semblait inutile à qui avait pour soi de solides textes, des droits séculaires et la force publique.
Il n’eût guère de contact avec ses prêtres aussi. Les curés ne lui communiquent pas leur expérience personnelle, leur avis ne leur est pas demandé d’ailleurs. Ils doivent faire leur devoir obscurément, tandis que de son côté, lui, promulgue les mesures propres à s’assurer les bénédictions du ciel et les félicitations des ministres. Il ne sentait pas c’est une lacune de son éducation et de sa naissance que les humbles ont une vie profonde et constituent une force immense pour qui sait l’utiliser. Autant que les actes de son administration et le jugement des contemporains nous permettent de le faire, on le définira en disant qu’il a administré, mais qu’il n’a pas aimé, ou pas su aimer. Il a vu des textes, là il aurait fallu sentir palpiter des cœurs ; et c’est grand dommage car il était véritablement homme de devoir et ne reculait devant aucun obstacle, quand il avait senti une fois son action utile aux intérêts spirituels ou matériels de son diocèse.
Aux yeux de l’histoire cette belle qualité, absolument essentielle, rachète l’impression pénible causée par certains actes. Mais en « politique » seuls les gestes sont de conséquence, et l’on peut dire que ses erreurs ont eu en définitive plus de poids que ses initiatives heureuses. Plus ses diocésains sentaient proche un ordre nouveau et moins de vrais chefs prenaient leurs troupes en main.Il est temps, que l’homme défini, nous le voyions aux prises avec ceux qu’il connaissait si peu et dont cependant il était responsable devant Dieu. Quels problèmes le frappèrent davantage nous le savons par sa lettre au cardinal Fleury, datée de Lyon du 9 août 1742. Le principal est évidemment la question protestante. « Plus de la moitié de ma ville épiscopale ne fait aucun exercice de la religion catholique, de même qu’une grande partie du reste de mon diocèse » (11). C’est autour de cette question que notre évêque, rempli d’un zèle extrême pour la défense de l’orthodoxie a concentré toute son activité pendant au moins vingt ans.
Il pensa qu’une des causes principales de l’impuissance des catholiques en face des protestants était la présence dans les paroisses des mauvais prêtres, dont il a été question dans le chapitre précédent. Ces mauvais prêtres sont, dit-il, étrangers au diocèse et cela faute d’un collège ou d’un séminaire. Pour réduire l’hérésie, il faut d’abord améliorer dans le diocèse le recrutement sacerdotal. Nous ne reviendrons ni sur l’étendue du mal ni sur l’efficacité des remèdes préconisés. Rappelons que les efforts de l’évêque favorisés par sa longue présence à Die et son esprit de suite permirent au nombre de prêtres originaires du diocèse de passer de 26 à 50 En 1790 l’avenir était assuré de ce côté, tellement que l’élan reprendra très vite après la période révolutionnaire.
En attendant d’avoir de bons prêtres, il fallait châtier les mauvais. Il s’y employa avec énergie.
Louis Thibon, curé de Volvent fut suspendu pour mauvaises mœurs, condamné à un an de grand séminaire « pour y reprendre l’esprit de son état », et aux dépens.
Aubert, curé de la Roche Saint-Secret fut suspendu aussi et longuement emprisonné. Guirand de Chastel-Arnaud dut changer de bénéfice pour éviter de plus graves mécomptes. Gilly subit le sort d’Aubert. Disparut du diocèse le triste Blayer de Beaumont en 1767, après Semblât, curé de Saint-Benoit, en 1753, et Mazet, de Barnave, en 1744.
Dans son œuvre de répression l’évêque montra, il faut le reconnaître, une certaine souplesse. Le tribunal de l’officialité fonctionnait comme à regret. Il fallait plusieurs plaintes pour émouvoir la justice ecclésiastique. La première restait lettre morte, puis après vérifications et auditions de témoins le délinquant recevait un avertissement.
Ainsi Pascal, curé de Ravel, reçut, en 1769, la lettre suivante, du vicaire général Arnaud.
« Il m’est revenu, monsieur, depuis longtemps par une voie sûre que vous aviez prêté par obligation des sommes assez considérables dont vous exigiez des intérêts. Je suis parfaitement. instruit. Cette nouvelle m’a beaucoup affligé et me fait craindre de plus en plus pour vous. Je vous prierois de bien vouloir mettre ordre incessamment à ce dérèglement qui est si sagement combattu par les voix de l’Eglise et si opposé à l’édification publique et à l’honneur de votre ministère. » (12).
Au cas où le curé persistait, on lui demandait de changer de bénéfice avant tout scandale. En cas de refus, il était interrogé après une instruction serrée. Aubert eut ainsi à répondre à 106 questions. Dans son procèset certains autres l’audition des témoins et l’interrogatoire sont renouvelés deux à trois fois avant qu’intervienne un jugement. Quelquefois l’évêque demandait conseil avant d’agir.
Un prêtre de l’ordre de Saint-Antoine se conduisant mal dans sa paroisse, il demanda à l’agence générale du clergé à Paris s’il était « fondé à luy faire signifier un acte portant révocation de ses pouvoirs avec défense d’exercer plus longtemps les fonctions curiale » (13) et s’il pouvait pourvoir un bénéfice dépendant de cet ordre.
Sa prudence ne lui épargna pas de sérieux mécomptes de la part de prêtres retors, qu’il s’agissait d’expulser du diocèse ou d’évincer lors de certaines vacances. De ces mécomptes nous ne voulons exagérer ni le nombre ni la portée, mais ils sont très caractéristiques des mœurs de l’époque.
Ainsi les archives de l’officialité sont pleines de l’affaire Aubert (14). Rien n’y manque : requêtes, enquêtes, interrogatoires, contre-enquêtes. Le curé fut emprisonné, relâché puis frappé d’interdit le 15 novembre 1769, invité à démissionner dans les six mois, condamné à deux mois de séminaire pendant lesquels il jeûnerait les mercredi, vendredi et samedi et réciterait ces jours-là les sept psaumes de la pénitence et les litanies des Saints, tête nue et à genoux.
Le curé n’avait pas avoué, mais les faits paraissaient bien établis et l’évêque avait la conscience tranquille.
Brusquement tout fut remis en question. Aubert ayant requis à l’archevêché à Vienne les 7 janvier, 22 et 25 juin 1770, sa requête fut acceptée. L’officialité archiépiscopale lui donna raison le 7 juillet, stigmatisant les calomnies dont il avait été victime et le rétablissant dans ses fonctions sacerdotales à la Roche-St-Secret même. L’évêque dut en sus lui restituer 59 l. 6 sols reçus pour le papier timbré et le travail fourni par 4 scribes pendant 18 jours (!). Plus curieux encore, lui parvint en même temps une lettre ; une lettre ironique et méprisante, dont nous ne sommes point sûr qu’elle soit d’Aubert, malgré la suscription formelle mais dont la présence dans les archives montre qu’elle a été au moins lue et conservée avec les pièces du procès. Le rouge de la colère dut monter au front du prélat.
Il avait plu à la malice des ennemis d’Aubert et à un promoteur fanatique de trouver mauvais qu’il fût père, et voici aussitôt : « Votre officiai et quelques benêts aussi sots que votre promoteur de prononcer contre moi une sentence qui semble avoir été dictée par les imbéciles pères du concile de Trente ».
De cela, l’évêque n’est pas responsable, mais Aubert lui demande de convenir combien il a eu au moins raison d’en appeler. Il avait pensé au Parlement, mais par une étrange inconséquence, le Parlement qui n’a pas reçu les décrets du concile de Trente les fait exécuter à propos du mariage des prêtres. Restaient les juges de Vienne qui au moins le blanchirent « comme la neige ». Et il est revenu dans sa paroisse. On déserte sa messe, on va même au prêche. Ces imbéciles se sépareraient de l’Eglise si l’on n’y veillait et pour les en empêcher il faut absolument régulariser sa situation. Il demande donc dispense pour se marier, dispense des trois bans (!) et commission pour le curé de Montjoux « qui scait comme se marient les prêtres ».
Ordre sera donné et affiché à la porte de l’église d’assister à son mariage et à sa messe.
« Vous préviendrez par là la perte de bien d’âmes, et le suppliant continuera ses voeux pour la santé et la prospérité de votre Grandeur ».
Le ton de la lettre est calme ; l’accusé plaide sa cause comme si elle était normale, tellement qu’on se demande si un prêtre même coupable mais sain d’esprit, peut en arriver à soutenir de tels propos. Aubert aurait-il bien joui de toutes ses facultés ? (15).
Quoiqu’il en soit l’évêque reçut bien la lettre ; il dut bien rembourser de l’argent à Aubert qui resta à la Roche-Saint-Secret, tout à fait tranquille jusqu’à sa déprêtrisation en 1794. Il ne reparut pas au Concordat.
Moins ahurissante, mais aussi caractéristique fut l’affaire Buissonnier. Il s’agit d’un prêtre désireux de s’introduire dans le diocèse malgré l’évêque.
Le très vieux et pieux Wamberkel, curé du Monetier de Clermont, avait, en 1781, résigné sa cure en faveur du sacristain du pays, Pierre Buissonnier, du diocèse d’Autun, auquel depuis quatre ou cinq ans l’évêque avait révoqué tout pouvoir pour conférer les sacrements. Naturellement, il refusa le visa. Buissonnier se pourvut inutilement en Cour de Rome, puis à Grenoble. Après trois nouveaux refus de visa de l’évêque, le Parlement lui permit cependant de prendre possession civile en juin 1781. Ceci fait, il continua ses démarches. Vienne se récusa, puis le Parlement le renvoya à l’évêque le plus ancien de la province, celui de Valence qui refusa aussi le visa.
Buissonnier entreprit alors une action en règle devant la Grande Chambre du Parlement de Grenoble où il y eut partage de voix ; la Tournelle trancha en sa faveur et commit deux conseillers-clercs pour transmettre les pouvoirs curiaux, puis sur un refus de leur part un chanoine de Grenoble. On était au 31 août 1783.
Depuis six mois déjà Plan des Augiers avait écrit à l’Agence générale du clergé : « Cet intrus gouverne publiquement une paroisse, exerce toutes les fonctions curiales en vertu de la puissance séculière, sans nul concours die la puissance ecclésiastique. Un pareil attentat ne seroit peut-être pas souffert en Angleterre. Mon diocèse. Monseigneur, est rempli de religionnaires. Je ne scaurois vous exprimer jusqu’à quel point va le scandale ; les sacrements sont journellement profanés et le salut des âmes est plus qu’en danger » (16).
Le Conseil du roi lui-même intervint fin 1783 pour casser l’ordonnance du Parlement et défendre à Buissonnier de « prendre le titre de curé de Monetier de Clermont », mais sans succès, puisque Vignon, son successeur, ‘ne fut nommé qu’en 1786. Dans sa lutte, l’intrus avait tenu en respect deux évêques, un archevêque, le Pape et le Roi.
Nous ne connaissons pas la portée exacte de ces incidents, mais ils ne pouvaient que nuire au clergé.
Parfois arrivait au palais épiscopal un prêtre inconnu porteur d’un diplôme de gradué ou d’un acte de collation pour tel bénéfice à charge d’âme vacant, acte signé du prieur, du vice-légat d’Avignon ou de la Cour de Rome (17).
L’évêque détestait ces visites imprévues et il le montrait en manifestant quelque humeur et en refusant de s’engager en quoi que ce fût.
Ainsi à l’égard de Pierre Chauvet, venant du diocèse de Gap, désigné par les chanoines de Die pour Chichilianne.
Monseigneur « auroit pris l’acte. et l’auroit mis sur la corniche de la cheminée. M. Pierre Chauvet lui auroit dit : Pour lors quand voulez vous, Monseigneur que je revienne ?
A quoi mondit seigneur auroit répondu : Je n’en sçai rien.
Ledit sieur Chauvet se seroit encore présenté aujourd’huy. et auroit trouvé sa grandeur, laquelle il auroit suppliée de nouveau d’accorder la susdite institution canonique. à quo mondit seigneur auroit répondu : J’examinerai, et voilà ma réponse ».
Chauvet n’insista pas, mais quelques années auparavant Benoît Bodin avait poussé les choses plus loin. Benoît Bodin, clerc résidant à Valence en 1750 n’était pas un mauvais prêtre loin de là, mais il eut la maladresse de croire que l’évêque serait disposé à lui donner à lui, débutant, parce que gradué, la cure de la Chapelle-en-Vercors, vacante en octobre 1749. A Die il fit sonner très haut ses titres, mais se heurta à un refus malgré cinq démarches.
Excédé pourtant, l’évêque lui fit subir l’examen. Bodin alors fit le jeu de l’évêque : blessé d’être interrogé à Die parce qu’« ayant été trouvé capable par l’Université de Valence, (cela) porte à croire qu’il l’est en effet » (18), il répondit à tort et à travers, se moquant de ses juges (19).
Il fut refusé, mais obtint possession civile du sénéchal de Valence. Le curé de la Chapelle ne se débarrassa de lui qu’en lui reconnaissant par devant la cour de Rome 450 livres annuelles. Il arriva même que des collateurs différents eussent chacun leur candidat. Entre 1766 et 1767, il y eut une lutte pour la cure de la Chapelle-en-Vercors, l’une des meilleures du diocèse, entre Roux pourvu par Rome et Bontoux, curé d’Aouste, candidat de la vice légation d’Avignon.
L’évêque dut montrer quelque préférence pour Roux, légitimement d’ailleurs. Bontoux, quoique déjà curé, demanda pour être parfaitement en règle, à subir l’examen, mais en prévision d’un échec prit possession civile quinze jours auparavant. Il fut déclaré inapte par les examinateurs et se désista finalement moyennant le remboursement de 800 livres de frais.
Bontoux, homme processif et agité, démissionna un peu plus tard pour aller aux Antilles, puis revint à Aouste qu’il quitta encore. Quand son successeur Malsang mourut en 1772, il voulut venir une troisième fois et se fit présenter par Gaillardon, chanoine et prieur, contre Roux de la Mazelière, candidat de l’évêque qui déniait au prieur tout pouvoir en matière de collation. De nouveau il demanda à subir l’examen, ce qui lui fut accordé puisque réglementaire, mais le lendemain du jour où la cure avait été officiellement occupé. Sans doute refusé pour insuffisance, il prit possession civile et obtint cette fois devant le Parlement de Grenoble, 200 livres de dommages et intérêts.
L’évêque dut faire annuler par le Conseil d’Etat un arrêt qui portait atteint à son prestige (20).
Il est vraiment pitoyable que de telles affaires aient pu être possibles. Le fait que légalement le pouvoir civil puisse intervenir dans les nominations était une atteinte permanente au bon sens et à l’intérêt de l’Eglise. En effet, deux voies s’offraient pour accéder à un bénéfice : obtenir l’appui de l’évêque, ou faire agir les autorités civiles, sénéchal, procureur fiscal du baillage, Parlement. Ignorantes des subtilités juridiques, les populations ne durent voir que désordre dans la dizaine de possessions civiles qui eurent lieu de 1750 à 1789.
L’évêque devait ainsi de par la complexité du droit ecclésiastique et des édits royaux traiter d’égal à égal avec des sujets indésirables ou violents ou insolents et pleins de morgues. Ses résistances pour rester maître du recrutement de son clergé étaient illégales ; interprétées comme des signes de mauvaise volonté.
Comme il choisit, en 1786, au détriment de Buis, Salabelle, curé de Saint-Benoit, pour la cure de Marignac, Buis, vicaire à Saint-Baudille, protesta aussitôt : « Ce prélat qui veut retenir tous les bénéfices de son diocèse dans sa disposition » (21) a refusé, dit-il, de lui donner la cure sans aucun motif. Il passera l’examen dans trois semaines ? Mais ce laps de temps est trop long ! Champey, le résidant, est malade, il va mourir. Or « la conduite de Monsieur l’Evêque manifeste. ses intentions de (lui) faire jeu de (son) droit. En effet l’article douze de l’édit du .mois de décembre 1691 exige que les pourvus de bénéfice par démission en la vice-légation d’Avignon qui auront différé de prendre possession dans le mois du jour de leurs provisions soient tenus de prendre ladite possession deux jours avant le décès du résignant. il ne dépend pas des évêques sous prétexte de refus de visa ou de délay pour les accorder d’exposer le pourvu à la perte de son droit » (22).
Blâmerons-nous Buis si ses droits étaient formels ? ou blâmerons-nous l’évêque qui s’efforçait illégalement de mettre de l’ordre dans un chaos ? L’époque était dure où chacun dans une législation séculaire pouvait toujours extraire un texte lui accordant ce qu’il demandait (23).
Avoir de bons prêtres, c’était évidemment enrayer la propagande protestante ; mais il fallait songer aussi à la répression. En 1742, l’activité des protestants du diocèse et d’ailleurs était extrême. Ils profitaient des embarras de la guerre de succession d’Autriche pour tenter de recouvrer leurs libertés. Assemblées du désert, comprenant des milliers de participants, mariages clandestins, catéchismes faits aux enfants, tout contribuait à ranimer la foi ancienne de ces « nouveaux convertis » à bon droit suspects au clergé. Avec un prélat très consciencieux et assez peu souple pour être en avance sur son temps, les relations avec les protestants devaient être fatalement mauvaises, et elles le furent en effet. La question protestante pouvait recevoir diverses solutions suivant que l’on songeait à réduire l’hérésie complètement, ou à instaurer la paix par un modus vivendi convenable. Il s’agissait de savoir au fond ce qui serait le plus favorable aux intérêts de la religion de convertir l’adversaire de gré ou de force ou de vivre en bonne intelligence avec lui. La lutte avait été trop chaude pour que cette dernière façon de voir soit unanimement adoptée. L’évêque était de ceux qui demandaient un seul troupeau et un seul pasteur ; il le voulait par piété, par autoritarisme, par désir d’obéissance aux ordres du Roi et plus simplement par besoin d’agitation.
Il essaya à la fois de convertir les adultes et de faire pression sur les tout jeunes gens en les écartant de leur famille, et cela avec le concours des autorités civiles (24).
Dès 1744, après la guerre de succession d’Autriche, Die devint le centre de la répression armée, sous les ordres de Jean-François d’Audiffred, lieutenant général des gardes.
lorraines. Il y eut une série d’arrestations et d’exécutions auxquelles l’évêque dut contribuer en communiquant de précieux renseignements. Il paya lui-même de sa personne : il alla à Mens en 1748, assister à la clôture d’une mission, recevoir six abjurations, et fonder une école ; il réclama un collège pour Die et y favorisa la présence d’un jésuite occupé uniquement d’apostolat. Mais le meilleur à ses yeux fut encore d’élever les enfants dans l’orthodoxie, malgré les parents. En cela il n’innova point d’ailleurs, mais éleva ce moyen à la hauteur d’une véritable institution.
Les maisons où les jeunes protestants pouvaient être enfermés étaient, pour les hommes l’hôpital de Die et la maison de la Propagation de la Foi à Sainte-Croix, et pour les femmes le couvent des Ursulines de Die et la Visitation de Crest. Ces établissements regorgèrent rapidement de jeunes gens et de jeunes filles qui grandissaient en. perdant contact avec leur famille, s’imprégnaient des vérités de la religion, acquièraient quelques rudiments d’instruction et un vague métier. Ceci dura quelques années, puis le prélat sentit se ralentir son succès avant d’aboutir au mécompte le plus grave de toute sa carrière.
C’est qu’il n’avait tenu aucun compte de quelques données fondamentales du problème : d’abord le nombre de protestants atteints était infime à cette époque de familles nombreuses, ensuite le procédé parut rapidement critiquable, voire cruel, et surtout le concours des autorités cessa dès qu’elles y virent un intérêt politique. Après dix ans de luttes, la maréchaussée se lassa de courir bois et rochers et de traquer les assemblées au désert.
Dès 1757 l’on prit l’habitude de condamner par contumace. L’intendant répugna bien vite à mettre des gendarmes à la disposition de l’évêque pour arracher à des familles honorables et inoffensives des enfants dont il lui importait peu qu’ils soient catholiques ou protestants. Ces procédés faisaient de plus en plus horreur aux deux partis et le gouvernement se discréditait sans profit, en un temps ou les impôts par suite de la guerre de Sept ans lui assuraient déjà une large impopularité.
De ces maisons, Lucrecius Sibeud, de Die, fils d’un subdélégué, dit expressément dans un rapport de 1762 qu’il n’était pas humain de maintenir dans des couvents des enfants arrachés de force à leur famille. Les résultats obtenus étaient déplorables : parvenus à l’âge d’homme et possédant un métier, de grands paresseux ne voulaient plus sortir. Les plus vaillants n’envisageaient pas sans répugnance l’idée de s’établir n’importe où, et sans crainte celle de retourner parmi leurs anciens co-religionnaires (25).
Plus l’évêque marquait de zèle, plus on était dur à la détente. Faute de pouvoir interner tout le monde, il fallait faire un choix, forcément arbitraire. L’intendant de la Porte s’en étant aperçu en prit prétexte pour brider le prélat. Il obtint du ministre que les troupes ne marchassent plus sur un simple ordre de l’évêque, bais « qu’il s’adresserait à MM. les commandants, premier président ou intendant; leur exposerait les motifs qui le porterait à désirer que les enfants fussent enfermés et que ceux-ci, d’après la vérification qu’ils en auroient faites donneroient les ordres pour amener les enfants dans la Maison de la Propagation lorsque la qualité des parties et les circonstances leur paraîtroit l’exiger » (26).
Plan des Augiers se le tint d’abord pour dit, puis essaya de tourner la difficulté en faisant écrire un vicaire général qui demandait une autorisation de principe « pour faciliter l’entrée de quelques enfants» dont M. Malsang dirait les noms un peu plus tard. Le subdélégué refusa tout net, à la suite de quoi l’intendant eut avec l’évêque une explication « pour le ramener à l’exécution des conditions auxquelles il a été promis que S. M. interposeroit son autorité » (27).
Irrité, l’évêque déclara à qui voulait l’entendre que puisque le Roi n’accordait plus d’internements nouveaux, il retiendrait le plus longtemps possibles les sujets déjà enfermés. Il ne réussit qu’à persuader l’intendant qu’« il était moins bien conduit. par un vrai zèle pour la religion que par l’envie d’entretenir des établissements qui lui donnent une certaine autorité dans son diocèse, et qu’il sait faire valoir à propos pour vanter auprès des puissances ses prétendus travaux apostoliques. » (28).
En fin de compte, la religion n’y gagna que quelques sujets douteux de plus, l’autorité épiscopale en sortit diminué et la personne de Plan des Augiers se trouva en butte à la haine des protestants et à la défiance des autorités civiles.
Ses autres initiatives n’eurent pis plus de succès. Les fonds demandés en 1742 pour le collège ne vinrent jamais.
Son prédécesseur avait placé en 1740 7.000 livres sur le clergé pour entretenir deux Jésuites professeurs de latin et le dit Clergé de France accordait bénévolement 300 l.
Dès 1765 l’évêque trembla pour les 300 livres à cause de la suppression des Jésuites, mais en 1768, capital et subvention tout avait disparu (29). Ses protestations furent vaines et il renonça désormais à toute action à l’égard des protestants.
Mais, pourrait-on dire, n’y avait-il point à Die d’autres ecclésiastiques susceptibles de le soutenir ? Et le chapitre ?
Hélas ! la discorde et le malentendu régnaient dans le clergé. Le chapitre pas plus que les curés ne témoignaient du désir de faire de l’apostolat, les curés parce qu’ils connaissaient les Protestants bien mieux que l’évêque et songeaient surtout à la paix publique, les chanoines par égoïsme et souci de la conservation de leurs biens. Loin de soutenir l’évêque, le chapitre marqua d’autant plus d’indépendance qu’il sentait plus de méfiance à son égard.
Dans le chapitre étaient représentées les meilleures familles nobles et bourgeoises du Dauphiné et de Provence : Lagier de Beauregard, Lagier de Prémarchand, François-Gaspard d’Agoult de Roquefeuil, du diocèse d’Aix, Dalayer de Costemore, successeur du pieux théologal Modeste de Nantes, Mathieu Agnès, Philippe Néry, natif de Montmeyran, de Gassendi de Tartonne, futur réorganisateur du clergé en 1795, Marc-Antoine de Moydieu de Chasse, Gaspard-Alexandre-Daniel de Liautaud de Montauban, etc. etc.
Tous étaient estimables, instruits et de mœurs pures, mais l’esprit de corps empêchait souvent ces qualités de se manifester. Autant les chanoines étaient avenants et de bonne société, autant le chapitre était violent, processif, et peu zélé. Il était un corps étranger dans le diocèse, différent de l’évêque, des curés, des moines. Personne ne savait au juste sa raison d’être, lui excepté ; il se devait de perpétuer avant tout un certain nombre de traditions : indépendance, conservation du temporel, respect de ses prérogatives ; il savait que les évêques passent et que les chapitres restent et en tirait beaucoup d’orgueil et peu de piété.
Or, dans une ville comme Die, il n’y avait pas place pour un chapitre têtu et un prélat indépendant. Dans son besoin de dominer, Plan des Augiers entendit nommer les curés des paroisses dont le chapitre était décimateur et prieur.
Il refusa le visa à cinq candidats sur six présentés. Il intervint à l’occasion dans les collations des prébendes dont, deux notamment donnèrent lieu à de ces luttes scandaleuses caractéristiques de l’incohérence juridique de la lin de l’ancien Régime.
En 1763 s’affrontèrent pour succéder à Lagier de Beauregard, Gresse de Gap, Chavasse, curé d’Eygluy, Petit, de Valence et Lagier Desfaures, de Die, comme gradués, inscrits sur la liste pour la première prébende vacante, ensuite Lagier de Vaugelas comme petit-neveu du résignataire, et Barthélémy, déjà chanoine à Grenoble.
Chacun cherchait un protecteur. Le petit-neveu avait Rome, Chavasse et Petit furent successivement nommés par le chapitre au hasard des influences. L’évêque annula la nomination de Petit au profit de Gresse. Petit fut renommé. L’évêque répliqua en désignant Chavasse et un vicaire général instaura Lagier-Desfaures. Le chapitre finit par gagner avec Barthélémy.
Chacun ,de ces candidats s’affrontèrent de nouveau à qui obtiendrait la prébende théologale de M. de Nantes.
Il y eut lutte entre huit gradués ; le chapitre nomma un neuvième personnage, l’évêque un dixième, puis un onzième, Dalayer de Costemore, qui l’emporta en même temps que Chavasse recevait un canonicat créé spécialement à son intention. La première bagarre avait duré un an, la deuxième dix huit mois.
Les querelles de préséance furent graves, comme toujours avant la Révolution. En 1768, à la mort de la Reine, des prières publiques furent ordonnées, notamment un service solennel à la cathédrale. Le chapitre éleva aussitôt trois objections : à savoir qui paierait le catafalque, si les chanoines accompagneraient ou non le prélat de son domicile à la cathédrale et inversement, et comment seraient réglés différents détails liturgiques. De vives répliques furent échangées ; mais les chanoines n’avaient peur de personne.
« On n’hésita pas même, dit l’évêque à Choiseul, à me menacer de vous, Monsieur le Duc, de signification d’actes et du Parlement où (ils) prétendent avoir des parents qui ont résisté aux ministres et culbuté les commandants de la province » (30). L’évêque coupa court à tout en officiant dans une autre église et se fit donner raison sur le fond par le Conseil d’Etat. N’importe, comme dit l’évêque un peu plus tard « certains éclats par les ecclésiastiques surtout dans les petites villes sont toujours fâcheux pour la religion et influent dans l’ordre civil » (31).
Des trêves ne laissaient pourtant pas d’exister quand un danger pressant faisait ressortir les avantages d’une entente entre bénéficiers. Des luttes nouvelles s’engageaient alors sur d’autres fronts, desquelles l’évêque ne tirait qu’une impopularité toujours plus grande. Il se manifesta bruyamment à l’attention de ses ouailles par un zèle extrême pour tout ce qui était argent et cela tout au long de son épiscopat. Il défendit, bien entendu les intérêts de son diocèse en matière de dégrèvement de décimes, mais surtout il se battit de 1742 à 1789 avec une ardeur farouche pour la défense des privilèges du clergé en général, des bénéficiers en particulier et de l’évêque de Die au premier chef. Son autorité en devait mourir avec son prestige auprès du bas clergé du diocèse et des autorités municipales de Die.
Quand les prieurs-curés payaient trop de décimes, il faisait remarquer qu’ils n’avaient pas même des messes à cinq sols d’honoraires, que le pays était très pauvre, qu’il n’y avait point de casuel (32). Quand il s’agissait d’augmenter les portions congrues, il préconisait comme en 1768, un maximum de 400 l. pour les curés et 200 l. pour les vicaires, comme très suffisant dans les campagnes (33). Il laissait 2.000 l. sur 17.000, les deux chapitres étaient ruinés, le clergé perdait tout respect aux yeux des populations.
Il ne se rendait pas compte que c’était tout le contraire et aggrava même son cas en déplorant amèrement l’augmentation de 1786.
Ses relations avec la municipalité et ses procès personnels devaient diminuer plus encore son autorité.
Avec la municipalité on peut dire qu’il y eut inconsciemment scandale de part et d’autre, l’un se montrant intolérant et irascible, les autres prenant un vif plaisir à exprimer des théories suspectes sentant de loin la Révolution. Par le jeu des alliances, les débats s’élargirent même jusqu’au point de savoir qui l’emporterait du Roi ou du Parlement, le premier soutenant l’évêque et le second le conseil de ville.
Les relations furent bonnes d’abord. En 1742 un des consuls et l’avocat Gache allèrent à Valence à la rencontre de l’évêque qui prêta lors de son entrée les serments d’usage et reçut un tonneau du meilleur vin possible. Mais chacun prit bien vite conscience de ses intérêts particuliers et de multiples incidents s’élevèrent presque tous les ans qui finirent par rendre l’atmosphère irrespirable.
Les consuls, les premiers lésèrent indirectement le clergé en interdisant d’importer les vins récoltés hors du territoire de la ville. Sur réclamation du doyen du chapitre, ils consentirent à une « dérogation » ; l’évêque brouilla aussitôt les cartes en déclarant que c’était un « droit ». Et les Diois eurent bientôt l’étonnement de voir ressusciter quantité de vieilles pratiques féodales qui semblaient à Plan des Augier, au contraire de ses prédécesseurs, absolument inséparables de la dignité épiscopale.
Il s’agissait de lui remettre les lombes des porcs tués dans la ville, un quintal de chandelles et 36 florins de par un acte de 1508 sur l’inféodation des boucheries ; il devait payer la viande un liard meilleur marché que les particuliers. Il présiderait lui-même toutes les réunions du conseil et nommerait le maire dont il avait acheté la charge.
On ergota sur ces questions jusqu’en 1766, jusqu’à l’application du nouveau régime municipal.
Au lieu du régime consulaire, il y avait désormais un maire, deux échevins, quatre conseillers nommés par les notables et douze notables nommés par les différents corps.
Le Roi désignerait le maire sur une liste de trois noms présentée par les notables. Une mesure d’exception (comme toujours sous l’ancien régime) compliqua la situation : le roi donna à l’évêque comme seigneur haut-justicier le droit de nommer le maire, le premier conseiller et un notable.
Un premier incident naquit du fait que la ville pour liquider l’ancien état de choses avait dû rembourser à l’évêque la charge de maire qu’il possédait, soit 5.400 l. A tort ou à raison, elle se crut fondée à en réclamer le remboursement au Roi, mais l’évêque qui avait en sa possession les pièces à conviction déclara les avoir perdues. Les officiers municipaux crurent au contraire qu’il désirait leur être désagréable et entamèrent à ce sujet un procès qui durait encore en 1790.
Un peu plus tard ils désirèrent s’affranchir de toutes les marques de respect traditionnelles c’est-à-dire non fondées sur des textes à l’égard du commandant, du Major, du gouverneur, de l’Intendant. et du prélat et n’allèrent point en corps à l’évêché après leur élection (34). Le minis1re Choiseul les y contraignit, mais ils revinrent à leur révolte.
On voulut empêcher aussi les ecclésiastiques et les nobles de signer les premiers les registres de délibération des assemblées des notables.
En 1772 aucun des trois candidats présents ne plut à l’évêque ; de même en 1777. La ville protestait. « (Elle) seroit bien malheureuse si elle n’avait pas la liberté de se choisir des sujets pour la place du maire » (35). L’hôpital, déclara-t-elle en 1771, est mal géré, il renvoie des malades qui traînent dans les rues ; cinq délégués assisteront désormais aux réunions du Bureau au palais épiscopal. Mieux, en 1772, elle se déclara seule habilitée à l’administrer en vertu de l’acte de fondation de 1427. Mal à point pour le clergé éclata juste à ce moment une affaire de captation d’héritage compromettant les religieuses hospitalières, qui dura jusqu’en 1782. L’évêque fut encore piqué au vif, quand la ville réclama les biens venant du prieuré de St-Pierre de l’ordre de St-Ruf alors en liquidation. Cela lui fut d’autant plus sensible qu’à la suite de son intervention à l’assemblée de clergé de 1762 en faveur du rattachement des biens aux menses épiscopales, il avait été chargé du rapport au Saint-Siège et que ses conclusions avaient été adoptées dans la Bulle du 5 février 1773.
Mais tout cela ne fut que piqûres d’épingle à côté de l’affaire du don gratuit. La gravité de cette affaire vient du fait qu’y furent battus en brèche ouvertement les privilèges du clergé en matière d’impôt, au nom de la raison et de la justice.
Un édit d’août 1758 avait obligé les villes au paiement d’un don gratuit, don auquel les ecclésiastiques, avait déclaré le Roi le 27 août 1760, ne participeraient que pour les mêmes sommes payées en exécution des édits de 1704 et de 1705, concernant les boucheries et les boissons. La ville de Die ne dressa les états de répartition qu’en 1769 (après une série de mauvaises années) et sur la base de l’égalité fiscale. Puisque la part des bourgeois et nobles dépendait de leur capitation, c’est-à-dire de leurs revenus, celle des ecclésiastiques serait calculée d’après leurs revenus connus (prébendes, baux d’affermage, etc.) L’évêque prit aussitôt la tête du mouvement de protestations. Déjà à Crest le clergé, brimé de la même façon, avait intenté un procès à la municipalité et avait été débouté par le Parlement en 1767. « On ne sçait trop, dirent les Diois, ce qui doit causer le plus de surprise, la hardiesse d’une seconde entreprise aussi injurieuse à l’autorité de la chose jugée, ou la détresse d’une communauté à qui l’arrêt le plus solennel ne peut pas garantir l’ordre et la tranquillité dans la répartition et la perception de ses charges publiques » (36). Les laïcs sont imposés d’après la capitation de 1759 ; le clergé ne voudrait pas être imposé d’après son revenu ?
Mais « le principe général de la loi est l’égalité et l’indistinction de contribution par toutes sortes de personnes (37). « D’où le clergé a-t-il tiré le singulier privilège de détruire une loi existante par une loi qui n’existe pas ? (38).
Les taux d’imposition ? 2 1. 4 s. pour 800 livres de revenus « que le clergé avant de se plaindre commence donc par justifier qu’il y aît un citoyen. qui avec un revenu net de 800 livres soit imposé pour une somme moindre de 2 l. 4 s. (39).
L’affaire fit un bruit énorme. La ville eut gain de cause au tribunal de l’élection à Montélimar en 1772. Le procès traîna en appel à Grenoble de 1773 à 1779, tandis qu’à Die des libelles entretenaient une agitation permanente.
Le clergé perdit encore et dut payer les arrérages et 2.861 1. de frais. Plan des Augiers partit à la cour, fit casser le jugement par un arrêt du Conseil d’Etat du 25 janvier 1780, condamnant la communauté au remboursement et aux dépens. La ville fit opposition. Le Prélat essaya en vain de se créer une majorité à Die, puis proposa un arbitrage en 1782, mais les Diois refusèrent les propositions du subdélégué. Un nouvel arrêt du Conseil d’Etat du 3 mars 1784 exigea alors l’exécution du premier et de guerre lasse un maire conciliant régla le conflit le 14 septembre 1784, en promettant d’établir l’impôt en tenant compte des privilèges du clergé, de payer la moitié des frais, de rembourser le trop perçu par non-imposition à venir. Le même jour, on régla aussi quantité de petits litiges en faveur de l’évêque.
Cette grande victoire de l’évêque était toute de surface.
Un avocat fielleux, Roman de Fonroza, franc-maçon et qui devait terminer sur l’échafaud sa carrière de membre juge à la Commission d’Orange, entretint contre lui une sourde agitation au cours des années qui suivirent et en 1791, malgré tous les engagements on parlait encore du remboursement de la taille du pré de l’officialité et de la capitation dont le prélat prétendait que ses domestiques étaient exempts, des dépens du procès du don gratuit, du montant de la charge de maire, etc. etc. Les bourgeois firent saisir ses biens, mais Plan des Augiers obtint mainlevée devant le tribunal de Crest. L’affaire traîna à Valence en appel, dans l’espoir d’un décès prochain, qui survint en 1794, date à laquelle ses héritiers étant émigrés, la ville se paya à loisir sur ses biens.
Parallèlement l’évêque se brouillait avec des familles fort considérées. Une certaine Mademoiselle de Baymac, nièce de Mgr de Cosnac, avait prêté à son oncle 17.000 l. pour construire au profit de l’évêché un martinet dans le Vercors. Plan des Augiers à qui les intérêts furent réclamés en 1742 n’admit pas que ce fût une dette épiscopale ; le martinet n’avait coûté que 5.000 l., il ne rapportait rien, M. de Cosnac avait détourné les 17.000 L à son profit. Etc…, etc.. Sa mauvaise foi apparut donc insigne dès son avènement à Die. Il eut un procès de 1742 à 1790, avec les Gallien des Chabons, puis les Chevandier pour la suzeraineté de Valdrôme ; avec M. de Chabrillan pour la terre de Montanègre. Jusqu’à la fin de sa vie il eut des affaires pénibles : en 1791 un nommé Charles Chabert, négociant à Romans, lui réclama 15.000 l. dont il avait trouvé des reçus signés dans les papiers de son frère Jacques, mort curé de Saint-Martin-le-Colonel. Plan des Augiers dit que l’argent lui avait été remis pour de bonnes œuvres. Le procès qui suivit se perdit dans la tourmente des années révolutionnaires.
Toutes ces affaires et bien d’autres encore rendirent l’évêque d’autant plus antipathique, qu’il se posait en victime alors qu’il profitait largement des privilèges du clergé.
On lui attribuait en 1789 de 30 à 40.000 L de revenus sans beaucoup se tromper, puisqu’il avait au moins les 17.000 L de son évêché, 4.000 1. sur celui de Saint-Omer depuis 1754 et l’abbaye de Longay au diocèse de Langres dont l’une des forges était affermée seule 8.600 livres.
Ainsi au terme de cette revue de l’activité de l’évêque, de 1742 à 1790, nous avons le triste spectacle de la discorde et de la haine. Son œuvre spirituelle lui avait apporté celle des protestants, avec la défiance des pouvoirs publics, son œuvre temporelle avait irrité le bas clergé, les bourgeois et les nobles. Nul doute qu’il y ait eu des torts de la part des chanoines et des bourgeois : nul doute non plus qu’avec un peu plus d’adresse et un peu moins d’égoïsme bien des conflits eussent été évités. Plan des Augiers connaissait mieux les ouvrages de jurisprudence que le cœur des hommes et ses instincts d’avare l’amenaient à croire trop fermement que le prestige du clergé venait avant tout de sa puissance temporelle. C’était servir deux maîtres sans profit pour aucun ; car la véritable piété est incompatible avec l’intérêt personnel.
Il n’eût point dû s’étonner comme il le faisait en 1777, de l’agitation qui régnait dans son clergé : « l’autorité des évêques est aujourd’hui si bornée qu’ils ne peuvent que gémir sur l’inconduite des ministres du second ordre » (40).
Et cette agitation, il eut fallu beaucoup de souplesse pour la localiser ou la faire disparaître. Le clergé avait appris le chemin de Grenoble. Il avait commerce de plus en plus avec des juges, des parlementaires, des avocats, il était au courant des faits et gestes des intendants ; des bruits couraient jusque dans les villages les plus reculés. Chacun prenait conscience de sa force et se sentait de taille à lutter.
Le Parlement n’était-il pas là qui soutenait les petits ? A défaut d’affaires personnelles, l’on critiquait librement entre ecclésiastiques l’évêque, l’archevêque, le ministre de la feuille et les moins timides voyaient déjà confiée au bas-clergé la mission de sauver la religion mise en péril par l’égoïsme des prélats.
Cet état d’esprit est à l’origine d’un pamphlet violent rédigé en 1789 par le Supérieur des Ecoles chrétiennes de Die et adressé à M. de Marboeuf, ministre de la feuille (41).
Amèrement et insolemment, il y fait le procès des nominations récentes dans l’épiscopat, puis se retourne contre Plan des Augiers pour en dresser un portrait peu flatteur.
« Depuis longtemps, débute-t-il, je gémis, ainsi que tous les honnêtes gens des nominations ridicules, scandaleuses, ou révoltantes que je vous vois faire en votre qualité de ministre de la feuille, presque toutes les fois qu’il vient à vaquer lu dignité dans l’Eglise gallicane ». Il espérait que le ministre percevait « les cris d’indignation qui s’élèvent de toutes parts chaque fois que la liste (des) élus devient publique … ».
….Vous êtes un des premiers dans l’ordre hiérarchique,, je le sais, et je suis bien au-dessous du dernier ; vous êtes un ministre et je ne suis presque rien dans ce monde ; mais nous sommes égaux aux yeux de l’Etre suprême. Vous ne devez pas dédaigner mes leçons, quoiqu’elles partent d’un pauvre Frère Ignorantin. le divin législateur ne choisit-il pas des hommes grossiers, pauvres, ignorants, des hommes de la lie du peuple pour annoncer la Sainte Loi aux Princes de la terre ?» Après cette déclaration si grave, si pleine d’avertissements pour le haut-clergé, le Frère donne des conseils pour l’avenir. Il faudra prendre les curés les plus vertueux.
Les intrigues de Cour seront difficiles à éviter, mais « Monseigneur, il faut absolument ou que vous ayiez le courage de remplir (cette tâche) ou que vous renonciez à votre place ». Les nominations doivent être faites dans « l’esprit de la primitive Eglise », alors que « pendant votre administration, l’irréligion, l’avarice, la prodigalité, l’incrédulité, l’athéisme même semblent avoir été les seuls titres pour obtenir les bénéfices à nomination royale ». Plus de ces mutations qui enrichissent la Cour de Rome et multiplient les annates et les Bulles, plus de menses avantageuses à des vieillards qui s’endettent et meurent sans avoir le temps de solder les frais de leurs translations répétées. Au lieu du vingtième, c’est le dixième des revenus des bénéfices royaux qui sort de France « depuis que votre ami Brienne vous a fait donner la feuille. Les uns vous comparent à l’un de vos simoniaques prédécesseurs, M. de Jarente, dernier évêque d’Orléans, qui ne disposait d’aucun bénéfice qu’à beaux deniers comptants. Les autres disent que vous vous entendez avec la Cour de Rome et que vous partagez avec la Daterie le produit des Bulles. D’autres enfin, et c’est le plus grand nombre, soutiennent que vous êtes de moitié avec le sieur de Cressac, votre banquier en Cour de Rome, et que vous avez grand soin de le faire charger par les nouveaux pourvus, de l’expédition de leurs bulles. Tout le prouve, ajoutent-ils, vous avez choisi le plus arabe, le plus juif. aucun de ses confrères n’est en état comme lui, d’écorcher les pratiques que vous lui envoyez ; .tous s’adressent à lui, preuve qu’ils n’osent se refuser à la vive recommandation du dispensateur des grâces ».
Pourquoi Fontange de Nancy à Bourges, puis à Toulouse et Brienne à Sens ? Pourquoi un prélat de Saint-Omer à Carcassonne et de Carcassonne à Bourges ? Pourquoi M. de St-Tropez, évêque de Sisteron, un septuagénaire, à Nevers ? « donnons-lui six ans, c’est beaucoup. Eh bien, à sa mort, dans l’espace de six années seulement, la Cour de Rome aura eu deux fois le produit annuel de cet évêché » et s’il meurt dans deux ou trois ans, elle l’aura trois ou quatre fois, suivant que son successeur sera plus ou moins vieux.
Suit le procès en règle de l’évêque de Die, titulaire depuis quelques jours de l’abbaye de Longay. « Cet homme qui a plus de quatre-vingts ans va donc encore une fois à son âge payer des Bulles. Eh ! la tombe l’aura englouti avant que ces bulles soient arrivées à Rome. » Et il examine les titres du prélat, à une telle faveur, nous indiquant ainsi quelle idée les gens de Die se faisaient de lui. Elle est peu flatteuse et comme l’écrit est public et s’appuie sur des faits précis, il est probable qu’elle contient une bonne part de vérité.
On lui reprochait sa collusion avec les aristocrates pour avoir, avec l’archevêque d’Embrun, eu part à la dissidence d’une partie du haut clergé et de la Noblesse aux Etats de Romans en 1788.
Surtout, il était riche, riche, dans un pays pauvre. Il avait 40.000 L de revenus, un million d’économies. (S’imagine-t-on combien dans un diocèse misérable ce « million » « vrai ou faux devait faire rêver et devait scandaliser aussi ?) Il ne dépensait que 6.000 L par an et avait un train de vie indigne d’un évêque. Le commerce local ne gagnait évidemment rien avec un évêque n’ayant ni carrosse, ni chaise à porteurs, vivant tout seul, dans son château de la Salle, de sa volaille et des légumes de son jardin. Ses chevaux étaient légendaires, deux vieilles rosses faméliques qui tirèrent avec peine un vieux cabriolet, jusqu’à ce que l’arrivée d’une nièce provoquât l’achat d’un équipage convenable.
Il faisait regretter même la conscience avec laquelle il inspecta son diocèse, vers 1760-1770, car en visite il usait avec rigueur de son droit de gîte pour lui et tous ses domestiques, « de manière que pendant tout (leur) cours, il ne dépens(ait) pas un sol ». Le souvenir de cette troupe se jetant sur les pauvres curés ou les châtelains obérés était donc tel qu’on en parlait encore vingt ans après ses dernières sorties.
Les curés riaient à la réception des mandements. Jamais ils n’étaient imprimés. On en tirait à l’évêché autant de copies que d’archiprêtrés à charge pour les archiprêtres de les copier autant de fois qu’ils avaient de paroisses, avec leur encre, leur papier et à leurs frais s’ils voulaient payer un écrivain (42).
« Il a eu beaucoup de procès à soutenir depuis sa promotion à l’épiscopat et presque tous n’ont été occasionnés que par sa timidité, ses injustes prétentions et son envie désordonnée d’usurper les biens et les droits des autres ».
Ses avocats auraient dû le bénir, mais ils le détestaient, car il ne les payait que s’il gagnait. Les pauvres aussi le détestaient et les passants remarquaient sur son visage d’amusantes grimaces, quand un mendiant l’abordait. Sa ladrerie était telle que seul de ses confrères de la, province il refusa de payer sa part de l’impression du nouveau rituel à Grenoble (43). Quand l’abbé de Nantes reçut les blessés de l’armée de Savoie en 1743, il s’enfuit au château de la Salle pour échapper à ses devoirs de charité.
« Eh ! quoi, cet évêque dont toutes les actions sont marquées au coin de l’égoïsme le plus complet et de l’avarice la plus sordide ! cet évêque, qui, depuis plus de quarante ans ne dépense pas annuellement le sixième d’un revenu d’environ quarante mille livres ; cet évêque ne cesse de se plaindre de la médiocrité de son siège ; et à l’en croire, il est le plus pauvre de tous les évêques de France, lorsqu’il est de notoriété publique qu’il a thésaurisé et placé plus de douze cents mille livres ! Un successeur des apôtres faire un pareil usage du bien des pauvres !.. l’indignation arrête ma plume.
Nous autres, pauvres Frères Ignorantins, quand nous voyons commettre de pareilles injustices, nous adorons en secret les décrets de la divine Providence ; nous croyons fermement qu’un jour elle prodiguera ses bienfaits aux bons, et exercera les châtiments les plus rigoureux sur les méchants.
Nous sommes persuadés que même en ce monde, ceux qui croient en Dieu sont plus heureux que ceux qui n’y croient pas. L’espérance est un baume qui adoucit les plaies du cœur et fait supporter toutes les injustices avec résignation ».
Certes il faut dans l’échec de l’évêque Plan des Augiers faire la part de l’évolution des temps. Il n’était pas le seul ecclésiastique de son diocèse qui donnât prise à la critique.
Ce mouvement de révolte du bas clergé avait commencé bien avant lui et reçu de grands encouragements du Parlement de Grenoble, et il n’est pas douteux qu’un évêque vertueux et charitable eût rencontré des difficultés très graves. Pourtant avec plus de véritable piété bien des conflits eussent passé au second plan. Personne ne lui sut gré de l’épuration difficile et indispensable du clergé, mais tout le monde remarqua son goût des choses temporelles, son autoritarisme, son intolérance, son mépris, son orgueil de caste. Cinquante années durant il s’obstina à une besogne dont il ne s’aperçut jamais à quel point elle était stérile dans son ignorance complète de la puissance de la charité.
Conclusion
Nous voici au terme de notre enquête sur la vie paroissiale dans le diocèse de Die à la fin de l’Ancien Régime.
Nous avons pénétré dans les églises des plus humbles villages dépourvues de tout superflu, mais en général décentes. Les catholiques sont assidus aux offices, communient une fois l’an, chôment les jours de fêtes, grimpent les collines pour prier la Vierge et les Saints et revêtent parfois la cagoule du Pénitent.
De cette piété l’on peut dire qu’elle est caractérisée par un attachement presque violent au coin de terre des ancêtres et aux sanctuaires où l’on espère qu’ils ont gagné le ciel. Le paysan (et même le bourgeois) distingue mal entre les devoirs envers Dieu et envers la famille, ou plutôt il admet l’existence d’une vaste communauté d’êtres, d’une immense troupe de morts et de vivants au milieu de laquelle Dieu a pour préoccupation de régler et distribuer grâces, faveurs, châtiments.
La paroisse est une vraie famille spirituelle dont on peut dire qu’au XVIIIe siècle elle est redevenue la cellule fondamentale de toute vie religieuse. Nous disons redevenue, car en 1644 encore les catholiques se cherchaient parmi les ruines de leurs églises et considéraient encore avec méfiance et terreur leurs voisins protestants qui se damnaient avec la permission du Roi.
En 1742, les sanctuaires sont reconstruits et entretenus quoiqu’au hasard de disponibilités financières souvent médiocres. Les persécutions ont repris depuis de longues années et le sentiment profond de charité qui a d’abord reçu satisfaction s’est changé en sentiment de gêne et de dégoût à la vue des apostasies. En 1789, cent ans après la révocation de l’Edit de Nantes, c’est une tolérance de fait qui s’est installée dans le diocèse, état bien moins précaire que tous les édits possibles et bien plus favorable à la vie paroissiale. Du milieu du XVIIe siècle au milieu du XVIIIe, la vie paroissiale s’est reconstituée, puis elle s’est épanouie librement jusqu’à la Révolution, tandis que – fait absolument essentiel – s’achevait l’épuration du bas-clergé sous la direction d’un évêque tenace. Pourtant il ne faudrait pas ne voir que cette harmonie des fidèles entourant leurs pasteurs et marchant de concert vers le ciel. Nous avons dû, malgré nous, évoquer de nombreux scandales, présenter des personnages suspects, néfastes, turbulents. Hors des murs des sanctuaires et même à travers la fumée des encens brûlant devant les autels les hommes nous sont apparus, prêtres et laïcs, riches ou misérables, pieux ou rebelles, certains ne songeant plus qu’au passé, d’autres critiquant amèrement les institutions ou accentuant certains désordres en essayant d’en retirer quelqu’avantage.
A mesure que la situation s’améliore au point de vue religieux, il semble qu’un malaise se soit fait sentir d’année en année plus lourd. C’est que le désordre des institutions s’accentuait et que l’Eglise se trouvait engagée jusque dans l’organisation intime d’un Etat sans autorité.
De ce désordre nous avons donné bien des exemples navrants en même temps que nous avons dénoncé ceux qui l’accentuaient par leur maladresse ou leur ambition. Ce désordre en annonçait bien d’autres qui amèneront une éclipse presque totale de la vie paroissiale, organisme en vérité tenace, mais délicat et toujours à la merci des passions des hommes.
Notes
(1) Officialité Affl. Guiraud. Inf. p. 2.
(2) Officialité 6 G 14 aff. Mazet. Add. d’Inf. quatrième témoin.
(3) Officialité 6G15. Aff. Gilly. Plainte du Promoteur.
(4) Off. 6GIS. Greffe. Registre du Promoteur général. 1767-1768.
(5) Off. 6G16. Affaire Thibon. Audition de divers témoins.
(6) Curieuse démarche que celle de Gilly, curé d’Aurel qui fait irruption dans la chambre d’une protestante, mère depuis trois jours, découvre le lit, emporte l’enfant et le ramène baptisé. Ce même Gilly chassa un chien de son église en lui brisant le manche d’une croix processionnelle sur les reins. Il faisait brouter son cheval dans le cimetière après l’avoir attaché à la croix.
Pascal au Pilhon fit mieux : administrant un baptême où la sage-femme tenait l’enfant il lui demanda si elle n’avait point apporté de voile ou de mouchoir pour sécher la tête de l’enfant. A quoi elle répondit que ce n’était pas l’usage de la paroisse. sur quoi le sieur Pascal entra dans une espèce de fureur prit les coiffes de la dite Peyrol sur sa tête, en frotta celle de l’enfant avec colère et il dit à la dite Peyrol « Vilaine, insolente, si tu y retournes, je te baillerai du pied au c. » Et le témoin ajoute : « aucune autre femme n’a voulu (depuis) présenter les enfants à l’église ».
Il arriva à Blayer, curé de Beaumont, d’enterrer un paroissien quatorze heures après son décès. Contrairement à l’usage de la paroisse, Gilly, à Aurel, refusa de faire les levées de corps à la maison mortuaire, « ayant obligé les habitants de porter à l’entrée du cimetière les personnes décédées », tout en augmentant les tarifs. L’idée lui vint aussi de changer les heures des offices. Chapon, curé de Luc-en-Diois, fixa même la grand’ messe du dimanche à six heures du matin, pour être désagréable au seigneur du lieu. (Offi. 6G15 et 6G16)
(7) Off. 6G16 Aff. Richard Plainte au promoteur.
(8) Voici quelques exemples à titre de traits de mœurs et sans vouloir faire porter au clergé entier la responsabilité des écarts de langage de quelques personnages agressifs.
– … on entendit un grand bruit, que faisait le sieur Chapon à la fenêtre de sa maison.
au secours, on m’assassine (à Luc) C’est ce Jean passe tout outre, ce gueux, ce voleur, ce misérable. Je veux lui tirer un coup de fusil, lui donner lui coup de couteau dans le ventre, car il est infaillible qu’il périra sur un échafeau ». 11 voulait parler de messire Joseph Laurent Du Pilhon, chevalier et seigneur d’Angèles. résidant à Luc (Officialité 66rs Aff. du Pilhon-Chapon).
Que faites-vous là ? demande Quisart, de Pradelles, à sa paroissienne Madeleine Gresse. Je prends du marein (sable) pour mettre dans un trou. Pourquoi me prenez-vous mon marein ? L’endroit est à la communauté et j’en ai ma portion comme les autres Imprudente que tu es, attends-moi et je te l’apprendray. Je vais te donner cent coups de bâton. », Aussitôt dit, aussitôt fait. (Off. 6G15, aff. Quisart-Gresse).
Bernard, curé de St-Julien-en-Vercors a maille à partir avec Faure qu’il surprend s’entretenant avec un marchand du Villard-de-Lans d’un procès le concernant. De qué temnayle, si blaire, vas paya per mi. Me devès quinze francs. Je ne vous dois rien, respectant votre caractère. Vous aviez passé dans mon pré. Bien loin de donner bon exemple aux autres vous leur montrez à faire du dommage, puisque vous y passez premier. Tu devrais en faire informer. Je m’en serais bien gardé, parce que j’aurais fait mille francs de frais. Où les aurais-je pris ? Vous auriez changé de cure et j’aurais été embarrassé Tu es établi sur bien de femme Vous n’êtes pas plus solde que moi. Tu es gris. Va-t-en recoucher dans ta grange. Ta femme t’y a fouetté cy-devant. Vous en avez menti respectant votre caractère. Vous êtes un mangeur du riz des pauvres, vous leur devez la vingt-quatrième. vous n’êtes qu’un casteilan. Les coquins sont sous votre chapeau ; foutu coquin, je respecte votre caractère ». (Arch. Drôme, B. 1201, dossier 9).
(9) Insinuations Eccles. 4 avril 1756.
(10) Officialité 6G15. Greffe année 1762.
(11) Champollion-Figeac, op. cit., t. III, p. 433.
(12) Arch. Drôme 1 F.2 ; Fonds Lieutier de Lachau.
(13) Arch. Nat., G VIII 620 (1767).
(14) Arch. Drôme, Offic. 6 G 16.
(15) Arch. Drôme officialité 6 G 16. Le document n’est pas de la main d’Aubert et la signature est de la même écriture que le corps de la lettre. Il paraît donc être un faux, mais certaines précisions du texte rendent difficile cette hypothèse.
(16) Arch. Nationales G 8 629. Il est curieux de remarquer que l’évêque n’a pas nommé de curé légitime avant le départ -de Buissonnier. Lassitude ou crainte d’ajouter au désordre ?
(17) C’était possible pour Avignon ou Rome, quand ce prêtre était déjà curé d’un autre diocèse, c’est-à-dire déjà pourvu du certificat d’aptitude. Buissonnier en était justement dépourvu.
(19) La scène dut être amusante. L’accusé a d’étonnants défauts de mémoire surtout quand il s’agit de réciter des textes. Il rappelle au besoin ses juges à la question posée. Le tout coupé de digressions sur les démarches accomplies à Die et rapporté en dix grandes pages d’un style lourd et embrouillé.
(20) Chan. J. Chevalier, Histoire de Die, t. III, P. 683, n°1.
(23) Buis resta finalement à Marignac et Salabelle à St-Benoit, bien qu’il ait déjà pris officiellement possession.
(24) Notre source principale sera Jules Chevalier, op. cit. ch. VI et VII.
(25) Chevalier, op. cit., p. 654.
(26) lettre de M. de la Porte au comte de Muy, cité par Chevalier, p. 651-652.
(28) H. de Terrebasse, Les Maisons de la Propagation de la Foi, p. 122.
(29) Arch. Nat., G VIII, 629 (1768).
(30) Arch. Nat. G VIII 629, 25 juillet 1768.
(31) Ibid. 19 sept. 1768. Le chapitre était aussi en difficulté avec un des ses membres, David Sérène, curé de Die et vicaire général, suspect de pencher pour l’évêque. On chercha sans succès à l’exclure et il se vit même traduit devant les tribunaux en 1776. Ses trois prédécesseurs déjà avaient eu maille à partir avec les chanoines. La discorde régnait aussi entre eux et le doyen. (Noter que ce corps turbulent n’avait que sept membres). Ceux de Crest cherchaient noise au curé Chastel, chanoine lui-même. Voir Crest : reg. c. f° 282.
(32) Arch. Nat. G 8 629 (24 avril 1766).
(34) Arch. Nat. G VIII 629 ; lettre de l’évêque à Choiseul (début de 1768).
(35) J. Chevalier, op. cit., p. 674. 1.
(40) Arch. Nat. G VII 629 (13 fév. 1777). A une élection où son droit de nommer le maire était contesté, il vit un ecclésiastique (peut-être Serene, curé de Die) mener campagne contre lui « non seulement dans l’hôtel de ville mais. sur les places publiques ».
(41) Lettre du Frère François-Xavier, supérieur des Ecoles chrétiennes de la Maison de Die à Monseigneur de Marboeuf archevêque et comte de Lyon, commandeur de l’Ordre du Saint-Esprit et ministre du Roi au département de la feuille des bénéfices ; Grenoble, pp. 28. (Bib. Nat., 8 Ld 4 8639).
(42) Il est de fait qu’on ne connaît pas de mandement imprimé de lui, alors qu’il en subsiste de Cosnac.
(43) Il y eut en effet procès sur ce sujet, et l’évêque chercha des chicanes passablement ridicules ; la facture à l’imprimerie Allier était encore en suspens en 1790. Cf. J. de Font-Réaulx Les livres liturgiques du Viennois, dans Petite Revue des Bibliophiles Dauphinois, 7e série, t. III, n° 3, p. 117-134 (tirage à part), et cf. Arch. Drôme LXIII, p. 298.